Habité ! Il faut l’être quand on s’appelle Jaz Coleman, Geordie Walker, Paul Ferguson ou Youth et que l’on évolue depuis trente-quatre ans dans un groupe teigneux, cent fois excommunié, mais devenu sacré avec les années.
Jaz Coleman, leader charismatique de Killing Joke, ne vit nulle part. Parce qu’il vit partout à la fois ; dans tous les pays, dans tous les états imaginable et même au-delà, dans les contrées mystiques perdues de l’humanité jusqu’à l’espace intersidéral, comme destination finale. Un sac de voyage l’accompagne en cette journée de promotion précédant le lancement de la compilation
The Singles Collection 1979-2012 et il ne sait pas vraiment où il le posera demain. Pas de problèmes. Jaz est un grand érudit qui a voyagé et étudié la géopolitique comme l’écologie et les sciences occultes.
Tout cela peut paraître un brin amusant, excentrique ou farfelu, pourtant, Jaz possède un discours qui incite au respect s’il ne pousse à la crédibilité. Et ses croyances, il les a traduites en chansons et en jeu de scène, depuis 1978 avec son line-up et amis avec qui il joue encore ce soir au sein de Killing Joke. C’est peu de dire que ce groupe est devenu une légende, urbaine et musicale.

Le public de ce soir l’atteste ; génération Internet mêlée à la génération new wave bousculées dans les premiers rangs par les plus anciens ; les quelques survivants de la période punk et post-punk qui suivent le groupe depuis plus de trois décennies. Ce sont des fidèles parmi les fidèles qui ont connu et même rencontré Jaz et Killing Joke dans les années 80 en France, au Gibus de Paris ou au Cadran de Colombes. Il est toujours délectable d’apercevoir une jeune fille moderne en robe à rayures et collants opaques se dandiner au coté d’un ancien post-punk dont les seuls vestiges d’une époque balayée par un emploi stable s’affichent sur un t-shirt de la tournée de 1984 et quelques tatouages, exhibés pour l’occasion.
À 20h30 précises, Killing Joke entrent en scène dans une salle pas tout à fait pleine. Premières surprises : Jaz n’est pas grimé de blanc et le groupe offre, dès le cinquième titre et après un
Wardance sauvage, un
Love Like Blood d’autant plus extraordinaire qu’il était le grand absent du set de 2010 dans la même salle et qu’il se voit affublé d’une version très étendue par les riffs violents du guitariste hargneux, Geordie Walker.
Le tube de 1985 nous percute comme au premier jour. Le public, tous âges confondus, est déjà aux anges. Sur
Eighties (assez honteusement pompé par Nirvana sur
Come As You Are), la chaleur monte ; et quand
Pandemonium et ses relents métalliques concluent la fin officielle du set, la communion est totale. Observant ses acolytes quitter la scène, Jaz regarde sa montre et leur intime joyeusement l’ordre de revenir sur scène ; le public a payé et en veut pour son argent ! C’est reparti pour quatre titres de plus dont le très électro-indus
Follow The Leader rappellant qu’un musicien additionnel (Reza Udhin) accompagne le groupe aux claviers et autres machines électroniques.

Jusqu’au bout de la limite autorisée administrativement, Killing Joke ont tenu à rester sur scène et tenu les critiques – qui donnaient le groupe perdant depuis la disparition de Jaz en pleine tournée l’été dernier, avant d'être retrouvé dans le Sahara marocain en train d’écrire son livre ! – en total respect. Ce soir, en cet après concert, le bar du Bataclan jouxtant la salle ressemble un peu aux cafés de la place de la Bastille dans les années 75/80. Il fourmille de vieux punks assagis arborant t-shirt de Sid Vicious et mini-crêtes, de jeunes gothiques venus s’instruire et de Parisiennes très swag venant d’apprendre en quatre-vingt-dix minutes de concert que c’est souvent dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures.
Comme le vin qu’il affectionne tant, Jaz et son groupe semblent se bonifier avec le temps et relèguent le concert en demie-teinte de 2010 aux oubliettes. Rarement groupe si peu mélodieux aura réussi à imposer ses titres dans les cerveaux de ses inconditionnels jusqu’à l’entêtement. Punk's not (really) dead !