Damon Albarn

Deux années, voilà ce qu'il a fallu attendre pour enfin découvrir en live le projet qui a guidé Damon Albarn depuis 2018 : mettre en scène l'inspiration que lui a insufflé la lointaine île d'Islande où l'anglais avait trouvé refuge pour se ressourcer et se couper de son encombrante notoriété.
On sait depuis la longue pause de Blur que Damon Albarn s'est révélé être autre chose que la seule icône britpop que beaucoup souhaiteraient qu'il demeure. Toutes ses aventures musicales n'ont été que les fruits de collaborations hors normes et inventives. Des personnages animés de Gorillaz en passant par l'opera de Dr Dee, l'infatigable curiosité de Damon Albarn a surtout vocation à nous faire voyager : le disque Mali Music et aujourd'hui The Nearer The Foutain, More Pure The Stream Flows en sont la preuve.

Ce dernier, comme évoqué récemment dans nos colonnes, est une réussite. Son grand atout, au-delà de sa majestuosité, est qu'il convainc autant les amateurs de Damon Albarn que les plus novices. Il est ici question d'évasion, de sensibilité à tout ce qui constitue l'indéfinissable et le lointain et, surtout, de savoir transposer sur un piano son ressenti à propos de terres qui restent pour une majorité d'entre nous un mystère, tant par leur distance que leur dénuement.


Il fallait donc pour cela un écrin à la hauteur du projet : c'est ainsi que la Philharmonie s'est imposée pour Paris lors de trois représentations qui n'ont pas été de trop pour assouvir toutes les curiosités. Dans la splendide salle Pierre Boulez, le parterre et les deux balcons se retrouvent pleins et face à une scène où Damon Albarn s'entoure à nouveau des musiciens présents à l'ARTE Concert Festival de novembre dernier (Simon Tong et Mike Smith à la guitare et aux claviers, Seye Adelakhan à la basse et Seb Rochford à la batterie) ainsi que du quatuor à cordes et, cette fois-ci, du conteur islandais Einar Örn, narrant dans sa langue natale une poésie semblant sortie d'un autre temps.

Le concert, ou récital, consiste en l'interprétation de l'album entrecoupé de pièces personnelles instrumentales aux percussions ou au piano seul, qui permettent ainsi de savourer le contenu du disque dans son déroulé initial comme l'on suivrait un opéra. Cette ambiance très classieuse permet de booster le charisme des titres comme The Nearer The Foutain, More Pure The Stream Flows, The Cormorant ou Daft Wader. Les différents styles avec lesquels jongle Damon Albarn dans son album se voient à nouveau transformés par les violons et violoncelles ainsi que le piano dominant d'Albarn rendant le tout plus orchestral et peut-être reconnaissons le, plus difficile d'accès. Les pièces les plus iconoclastes de l'album qui sur disque peuvent étonner, telles Esja ou Giraffe Trumpet Sea, trouvent leur place dans ce type de représentation.


Les titres les plus emblématiques du disque profitent de l'acoustique de la salle, ainsi Royal Morning Blue, Darkness To Light et Polaris gagnent en profondeur joués de la sorte. En guise de rappel, on retrouve les réinterprétations de The Bollocked Man et Strange News From Another Star qui rappellent pour les égarés que Damon Albarn sait réinventer son propre répertoire en lui révélant des facettes inattendues.

Est-ce peut-être cette envie de sortir de sa zone de confort qui fâche certains spectateurs, quittant les lieux avant la fin du récital l'air un brin contrit ? Il est indéniable que les plus têtus en quête d'un énième retour de Blur naviguent toujours dans le flou tant le personnage de Damon Albarn s'est depuis bien longtemps épanoui d'une toute autre façon. La longévité s'explique par l'évolution et une nécessaire ouverture d'esprit sur autre chose que ses propres succès. Damon Albarn nous en a encore donné la preuve et il est à féliciter un lieu tel la Philharmonie de Paris qui ouvre ses portes à tous les types de publics grâce à un panel large de tarifs permettant ainsi à la culture et aux artistes le plus inventifs d'être largement accessible à tous.