Avant dernière date européenne du duo de Nottingham, Paris accueille Sleaford Mods que l'on avait laissés fin 2019 à la Cigale pour un concert aussi court que rageux. Depuis lors, deux nouveaux disques (la compilation de raretés
All That Glue et le très bon
Spare Ribs paru début 2021) et un retour sur la route qui, grâce à la particularité du groupe à voyager light (ndlr : pour rappel, seul un ordinateur portable et un pied de microphone leur sont nécessaires sur scène), n'a pas fait les frais des routiers et autres personnels manquant à la douane anglaise, évènements qui ont déclenché en ce 7 avril les annulations d'autres concerts qui venaient faire concurrence.
Au-delà de l'effet entonnoir redouté, les concerts reportés du fait du virus et des protocoles sanitaires se bousculant aux portes des salles qui ont réussi à les reprogrammer, l'abondance de choix n'a donc pas été un obstacle car l'Elysée Montmartre affichait complet et surtout s'est remplie de fans fidèles et autres habitués du duo de Nottingham. L'attente a été longue et c'est avec une setlist rallongée par rapport à la dernière prestation que tout ce petit monde a été généreusement récompensé.
Mais avant, l'occasion pour la quasi-intégralité de la salle s'est présentée de faire la connaissance de
LICE, formation de Bristol que nous avions déjà croisée sur la grande scène du parking du Chabada à Angers pour le festival Levitation France en septembre dernier. Ayant dans ce décor un peu peiné à réellement attirer l'attention du public, l'Elysée Montmartre a offert alors au groupe des conditions plus adaptées à son profil punk très expérimental.
Toujours mené par le charismatique Alastair Shuttleworth, celui-ci présente son album
WASTELAND : What Ails Our People Is Clear qui, lors de sa sortie en janvier 2021, avait fortement attisé la curiosité de la rédaction, avec son côté mélant noisy et arty des plus atypique. La sonorité brutale et industrielle des titres trouve certes un meilleur cadre dans la salle du 18ème arrondissement, mais il est toujours difficile de rentrer dans cet univers sonore complexe et distillé avec peu de subtilité, entendons par là sans préliminaire aucun.
Le chant déclamé bien souvent en hurlant d'Alastair Shuttleworth ne laisse aucun répit, et les morceaux courts et furieux prennent à la gorge. Le jeu de scène du jeune leader, tout de noir vêtu et au regard foudroyant tant ses yeux semblent jaillir de leurs orbites, intimide. Rajoutons à cela la gestuelle grandiloquente et un univers sonore très rugueux, cette première rencontre avec les néophytes n'est pas aisée.
Les titres tels
Conveyor,
R.D.C et le final avec
Clear confirment la totale absence de limites de LICE, et cet exutoire qui semble pour eux un état naturel est marquant. LICE est un groupe qui, comme certains médicaments, nécessite de lire la notice avant utilisation, quelques écoutes en amont étant nécessaires pour pouvoir entrer dans leur petit monde tapageur.
Par la suite, la scène se vide (littéralement) car comme à l'accoutumée, le minimalisme sied à Sleaford Mods. Dans un décor un peu plus stylé qu'à la Cigale, un néon qui viendra sobrement mais vivement « encercler » le fond de la scène, est seulement disposée une caisse d'ampli qui sert de table pour y poser l'ordinateur d'Andrew Fearn, toujours aux commandes pour lancer les boucles et autres samples des titres interprétés. A l'autre extrémité de la scène se trouve le pied de microphone réservé à Jason Williamson. Le temps de préparation est ainsi plutôt court.
L'arrivée du duo se fait dans la quasi-pénombre et sans perdre un instant, le bouton « play » est pressé et c'est une bonne heure et quart qui va défiler en un claquement de doigts, la liste des titres étant fournie et le tout exécuté sans pause et sans commentaire superflus.
Un changement de taille est constaté : la bière, deuxième accessoire de base d'un set de Sleaford Mods, a totalement disparu ! C'est à l'eau plate que vont tourner Jason et Andrew, permettant probablement à ce dernier de ne plus rester statique tel un poteau en tapant simplement du pied comme avant, pour dorénavant durant l'intégralité du concert danser tout son saoûl, en ralentissant seulement le temps de relancer quelques boucles sur son ordinateur portable.
Jason Williamson, quant à lui, continue de perpétuer la tradition des petits pas de danse chaloupés mais tout dans l'immobilisme et les aller-retours avec pied de micro brandi vers le public. On aura alors tout loisir de profiter de cet accent des Midlands qui donne toute sa particularité au punk hip-hop de Sleafords Mods, patiné de ce phrasé propre aux classes ouvrières de cette région pas mal désolée. Et ce ne sont pas les brûlots anti-Tories du dernier
Spare Ribs qui viennent affirmer le contraire.
On retrouve enfin sur scène les pamphlets anti-conservateurs que sont
Short Cummings,
Nudge It,
Elocution et
Mork N Mindy, où les voix de Billy Nomates et Amy Taylor sont évidemment présentes dans le Mac. La setlist brasse large dans les précédents albums et on retrouve le meilleur de Sleaford Mods avec
T.C.R,
B.H.S,
Kebab Spider,
Tied In Nottz et le parfait
Jolly Fucker. Le clou du spectacle est la géniale reprise de
Don't Go de Yazoo, qui bénéficie ainsi d'une cure de jouvence des plus inattendues sans parler des points de charisme que l'interprétation nonchalante de Williamson apporte à ce tube des années 80.
Petit à petit la foule, toujours constituée d'une fan base de quadra, se permet alors de donner une leçon aux quelques jeunots présents dans une ambiance explosive, et nous saluerons particulièrement les candidats au crowd surfing de cette soirée qui se sont tous révélés être de la gent féminine, au plus grand plaisir des membres du groupe. La hauteur de la scène dissuadant les plus acharnés, l'ambiance était plus à la danse qu'à la bousculade un peu basse de front qu'on avait expérimentée lors de leur dernier concert parisien. Ainsi ce soir, les jets de bières ont cessé mais cela n'a en rien entamé la motivation du public présent.
Sleaford Mods ont encore une fois convaincu tout en restant cette bande de prolos aux antipodes du star-system et des gros rouages de l'industrie de la musique qui souhaiterait bien s'en faire son goûter. On remerciera donc malicieusement les douaniers et autres routiers qui nous ont permis de nous sentir encore plus privilégiés en ce jeudi soir, notre choix ayant été le bon.