A album évènement, concert évènement. Depuis sa dernière tournée avec Rustin Man en 2003 et celle de Portishead en 2015, Beth Gibbons se fait discrète. Mais cette année, elle brise le silence avec une série de dix concerts exclusifs pour célébrer la sortie de son premier album solo, Lives Outgrown. Avant de se produire à la Bourse du Travail à Lyon le 31 mai, c'est la prestigieuse Salle Pleyel à Paris qui a eu l'honneur d'accueillir l'artiste. Dans ce cadre élégant, l'Anglaise a dévoilé les morceaux de son dernier opus, offrant au public une soirée inoubliable marquée par son timbre unique et sa présence envoûtante.
Le concert affichait complet quasiment dès la mise en vente des billets. Il ne fallait donc pas arriver en retard pour avoir le privilège de voir, en plus de Beth Gibbons, Bill Ryder-Jones en ouverture. Accompagné d'Evelyne Halls au violoncelle, connue sous le nom de scène Pet Snake, comme lors de sa performance en première partie à la Maroquinerie, l'Anglais se présente avec une certaine nervosité face à une salle déjà remplie aux trois quarts et entièrement assise. Assis au centre de la scène, l'ex-membre de The Coral, élégant dans sa chemise blanche, débute son set avec une version sublime de Don't Be Scared, I Love You, magnifiée par le violoncelle de sa complice. Intime et majestueuse, la chanson prend une nouvelle dimension dans ce format. Tous les morceaux interprétés, issus de son répertoire, révèlent la beauté et la mélancolie de sa musique. Qu'il s'agisse de Le Grand Désordre, extrait de l'album If..., que Bill n'a pas réussi à citer correctement en français, de la relecture de This Can't Go On, ou de la spectaculaire A Bad Wind Blows in My Heart Pt.3 réarrangée à la guitare, chaque chanson résonne avec une immense sincérité et une profonde émotion. Jouer en première partie de Beth Gibbons, devant une telle audience, était un moment immensément fort pour l'Anglais. Après un ultime et magnifique Thankfully For Anthony, Bill Ryder-Jones remercie chaleureusement le public et s'excuse d'avoir été si ému de jouer dans cette salle. Sa performance, empreinte de sensibilité, aura parfaitement préparé le terrain pour l'entrée en scène de Beth Gibbons.
Un message sonore annonce une pause de vingt minutes pour le changement de plateau avant de retrouver Beth Gibbons, moitié emblématique de Portishead. Finalement, il faudra patienter une dizaine de minutes supplémentaires avant que les lumières ne s'éteignent et que Beth Gibbons et ses musiciens ne prennent possession de la scène. Ils sont sept à entourer l'Anglaise : deux violonistes, un percussionniste, un bassiste, un guitariste, un batteur et un claviériste. Les années passent, mais Beth Gibbons reste inchangée. Au centre de la scène, vêtue d'un pull noir, d'un jean et d'une paire de baskets, elle occupe toujours la même position face à son microphone. Son set débute avec la plage d'ouverture de Lives Outgrown, Tell Me Who You Are Today. Le son est superbe, et l'influence musicale orientale ressort encore davantage sur scène, sublimée par la voix magnifiquement posée de la chanteuse. Les percussions jouent un rôle sensationnel dans la musique interprétée par Beth Gibbons et ses musiciens.
Burden Of Life et ses envolées musicales transportent le public dans d'autres univers. Les titres de son disque, entrecoupés à chaque fois de lueurs bleues, s'enchaînent. L'orchestration millimétrée et élégante de Floating In A Moment enchante la foule. Son final, presque a cappella, donne des frissons, illustrant la puissance émotionnelle de Beth Gibbons sur scène.
Le son se durcit par moment. C'est le cas sur Rewind, où les magnifiques rugissements des guitares (deux électriques et une acoustique) font vibrer la Salle Pleyel. Mais ce moment ne signe pas le début d'une révolution musicale et For Sale nous replonge dans un grand moment de délicatesse. Beth Gibbons est totalement imprégnée par sa musique. Elle se retire presque systématiquement près du clavier situé derrière elle lorsque sa partie vocale est terminée, comme pour se protéger. Lives Outgrown contenant dix chansons, Beth Gibbons revisite également deux titres de son album paru en 2002 avec Rustin Man. Mysteries, tout d'abord, puis l'indispensable Tom the Model qui ravit le public. Beyond The Sun, punchy et tourbillonnant avec l'envolée de tous les instruments, et un Whispering Love d'une grande beauté, viennent conclure cinquante-cinq minutes de set. Beth s'adresse enfin au public pour le remercier d'être présent ce soir. On ressent cette sensibilité, cette pudeur chez l'artiste avant qu'elle ne quitte la scène, suivie par ses musiciens. Quelques minutes passent, puis le groupe au grand complet revient pour une version maîtrisée et presque dépouillée de Roads de Portishead. Les beats ont disparu, mais l'élégance et l'émotion restent intactes. L'audience est aux anges. Beth Gibbons donne tout vocalement pendant cette chanson, ayant besoin de beaucoup boire avant de pouvoir interpréter le final du concert. Reaching Out, ultime chanson de Lives Outgrown, vient conclure un rappel et surtout un concert de toute beauté.
Certes, une petite heure et dix minutes peuvent paraître courtes, mais les concerts qu'elle a donnés avec Rustin Man il y a une vingtaine d'années n'étaient pas plus longs. On retiendra surtout le bonheur et la joie d'avoir connu une telle émotion musicale. Beth Gibbons reste une artiste hors norme, et c'est ce qui nous plaît tant en elle. Sa capacité à transporter le public, même dans un format aussi concis, témoigne de son talent exceptionnel et d'une profonde connexion avec sa musique.