Pour célébrer le début de l'été et rappeler à tous ceux qui l'auraient oublié qu'ils fêtent cette année leurs dix ans de carrière, les Brightoniens de Royal Blood s'emparent de l'Olympia à Paris pour deux dates sold out. Mike Kerr et Ben Thatcher s'y étaient déjà produits à leurs tout début, c'est dire la rapidité avec laquelle le duo s'était transformé en énorme phénomène, lors de la parution de leur excellent debut album éponyme. Pas le temps d'écumer les mini salles ni les clubs parisiens, le groupe, après quelques apparitions lors de grands festivals tels les Inrocks et Rock en Seine, est immédiatement passé aux choses sérieuses.
Avec une telle allure et une maison de disque de poids, nos deux musiciens n'ont eu de cesse de gravir les échelons trois à trois, tout au long de la sortie de leurs quatre albums, en se produisant sur la scène du Zénith de Paris, parmi les plus prestigieux festivals internationaux jusqu'à leur performance en première partie de Muse l'été dernier au Stade de France. Pas mal pour deux mecs seuls sur scène, toute basse suramplifiée et batterie de compétition dehors comme seul équipement !

Royal Blood ont, depuis les premiers jours, maintenu leur ligne de conduite : duo ils sont, duo ils restent malgré, et cela est bien normal pour progresser, toute une armada de producteurs de talent pour les accompagner en studio. Ainsi, l'horizon des deux anglais s'est élargi, avec dès le second disque
How Did We Get So Dark? en 2017 une ambiance un peu plus homogène, plus tendue, qui continuait de cranter le duo dans un style atypique. Puis, ariva le troisième album charnière, souvent celui de la transition, et ce fut le cas avec
Typhoons en 2021, ovni faisant apparaître un tas de sonorités électroniques tout comme une légère accalmie niveau tempétuosité, malgré le nom du disque signifiant en français « typhon ». Et pourtant, les arénas n'ont pas désempli depuis ce temps, preuve de la ténacité de Mike et Ben à mobiliser leurs fans partout où ils se trouvent.
Nous terminions l'année 2023 sans trop nous douter de la tournure qu'allait prendre le prochain épisode de la saga Royal Blood. La réponse nous fut donnée en septembre avec
Back To The Water Below : débarrassé des bidouilles électroniques qui entre nous ne lui convenaient guère, le duo nous a servi du pur Royal Blood : rock racé et dépouillé, très instinctif, mais qui au grès des titres continue cependant de s'homogénéiser de façon bien trop routinière. Ainsi, le rendez-vous donné à l'Olympia, de plus pour le dixième anniversaire, était plus qu'attendu.

Mais avant, évoquons la première partie :
Crawlers, groupe de Liverpool formé dès 2018 et composé de Holly Minto au chant, Harry Breen à la batterie, Liv May à la basse et Amy Woodall à la guitare. Arborant des looks très hétéroclites, tantôt Nirvana pour le batteur et la guitariste, tantôt goth émo pour la chanteuse et la bassiste (cette dernière avec une magnifique coupe mi-blonde mi-brune à la Rachel Goswell de Slowdive – aucun rapport évidement entre ces deux musiciennes, mais on aime à citer Slowdive dans le plus de papiers possible pour briller après de notre bon Boss), on ne sait pas trop sur quel pied danser car le style, mélange étrange de grunge et de post-hardcore nous rend un peu perplexes.
Le groupe offre une performance très dynamique et inonde de sourires le public mais se noie dans une mise en scène bien trop maniérée, peut-être ému de se produire devant une telle audience. Ainsi, les morceaux de leur premier album
The Mess We Seem To Make paru en février dernier prennent une dimension un peu trop théâtrale, à grand renfort de moulinets de micro, de bras en l'air ou d'agenouillements sur scène un brin forcés. Cependant, le public répond favorablement et se laisse entrainer avec docilité par Holly dans des sauts et des séances « quart-d'heure américain » avec lampe-torches de portables allumées. C'est en partant à la chasse aux informations que nous découvrons que Crawlers ont assuré les premières parties de My Chemical Romance en 2022, et c'est ainsi que l'on comprend d'où nous est venu ce petit malaise durant le concert. Nous restons cependant touchés par la belle énergie et la grande gentillesse du groupe envers un public conquis.
Revenons donc aux vedettes de ce soir : nous parlons live, alors pourquoi la rédactrice s'évertue à brosser le tableau de la discographie de
Royal Blood ? La réponse est simple : lorsque que l'on a suivi une formation pendant dix années, avec tout l'enthousiasme qui a été le notre lors de ses fracassants débuts, mais qu'au gré des années la passion s'est éteinte malgré des albums au succès toujours plus important, une petite mise au point s'impose. Royal Blood ont tenu bon dans leur style, avec des moyens de plus en plus conséquents, mais n'ont pas réussi à maintenir intacte leur propre flamme, celle qui nous transcendait dès les écoutes de leurs morceaux les plus vifs.
La scène recouverte d'une armada de spots de lumières digne d'un lightshow de stade et l'avalanche de flashs stroboscopiques et aveuglants paraîssent dès les premiers notes de trop. Cependant, Mike Kerr et Ben Thatcher assurent le show comme les professionnels qu'ils sont, avec un choix de setlist très équilibré parmi leurs albums, alors que nous pensions, comme cela a été le cas lors de leurs deux derniers concerts à Londres, qu'ils joueraient leur premier disque dans l'ordre en mode anniversaire. Première déception nous concernant mais notre volonté de découvrir les nouveaux titres a cependant été entendue.

Tout de noir vêtus, se présentent Mike Kerr et sa multitude de basses et la centaines (on exagère à peine) de pédales à sa disposition pour faire hurler de façon toujours si perçante son instrument comme si dix Angus Young se tenaient devant nous, et Ben Thatcher, casquette vissée fidèlement sur la tête et dont la monstrueuse batterie se voit posée sur une grande estrade. Entre les deux musiciens, apparaîtront surtout lors de l'interprétation des chansons des deux derniers disques le claviériste Darren James et, à la toute fin du show, un guitariste additionnel.
Avec leur style très stoner, les deux musiciens débutent sur les chapeaux de roue avec
Out Of The Black en version étendue et
Come On Over, nous replongeant fissa dix ans en arrière. Déjà aveuglés par une première salve de flashs qui, tout au long du concert, obligera nombre de spectateurs à baisser le regard quand d'autres sortiront le mouchoir pour écraser les larmes dû à l'éblouissement, le public tient bon et se lance dès
Boilermaker dans les premiers pogos tant attendus. C'est un Olympia totalement acquis à la cause des Anglais qui se laisse assommer par la puissance du duo, et qui réussit à faire trembler jusqu'à la mezzanine.
Pourtant, la rage savamment distillée sur scène de Royal Blood ne suffit pas à porter un bon nombre de titres qui se révèlent trop lisses, et qui mis bout à bout forment une masse déchainée mais au final ronronnante. Le public, comme hypnotisé par la cadence infernale du jeu de batterie de Ben, semble répondre mécaniquement à cette déferlante, et bien que Mike fasse parfaitement usage de sa grâce féline et de son chant fluide, on peine à se raccrocher à une quelconque aspérité. C'est ici que l'on constate que des morceaux plus grand public comme
Typhoons,
Trouble Coming ou le récent
Pull Me Through n'arrivent pas à gagner en caractère malgré l'extrême précision de leur interprétation, nous évoquant plus des bandes originales de publicité pour des marques de parfums ou de fringues de luxe plutôt que des hymnes de rock. L'heure et demie de show est néanmoins menée tambour battant, le public recréant les conditions d'une fosse de festival en mode moshpit, et le groupe de remercier le public pour l'accueil chaleureux qui lui est toujours réservé dans la capitale en clôturant le set sur ses deux plus gros hits :
Ten Tonne Skeletons et
Figure It Out.
Alors comment expliquer notre entêtement à suivre Royal Blood dans leurs pérégrinations ? Tout simplement parce que la musique du groupe, aussi étonnamment routinière soit elle, fait montre d'une telle force qu'il est difficile de ne pas céder à son attraction animale. Un peu comme une nuit de plaisirs sans la promesse de s'engager pour la vie entière, un moment court et jouissif tout en sachant que la personne ne nous retiendra pas. Ça n'est cependant pas l'avis de la majorité des présents pour leur venue, la seconde soirée ayant elle aussi affiché complet. Ainsi, Royal Blood démontrent que leur pouvoir de persuasion est réel, et nous continuerons d'espérer que ces deux musiciens extrêmement doués réussiront à trouver un jour la formule qui crantera le niveau de leurs compositions sur celui de leur imposante aura scénique.