Dernière session de l'année au Supersonic pour les prétendants au titre de futur gros noms du rock. En ce samedi soir de début décembre, alors que nos agendas comment sérieusement à s'alléger, trêve des confiseurs à l'horizon, votre média rock préféré se rend muni de sa plume la plus sévère pour jauger le niveau de ce que vont nous réserver les mois à venir. Après une année 2024 très riche en nouveautés, nous avons déjà entamé les investigations pour dénicher ce qui va probablement remporter tous vos suffrages l'an prochain.
Direction le club de la Bastille, fief officieux d'une grande partie des chroniqueurs de Sound Of Violence, où nous avons tout au long de l'année l'occasion d'affiner nos prédictions grâce à nos chers copains de la programmation qui peuvent s'enorgueillir d'être LES dénicheurs de talents les plus efficaces de Paris. Pour cette vingt-deuxième édition, retour au format d'origine avec quatre formations, ce soir toutes originaires d'Angleterre ou d'Irlande, pour une soirée gratuite qui se déroule dans son intégralité au Supersonic. Pas de dispersion, toutes les attentions sont donc portées au même endroit, et ce dernier millésime 2024 s'annonce sous les meilleurs auspices.
Dès 20h pétantes, place est faite à
Fruit, sextet nous venant de Manchester, composé de Josh Withers au chant, Jimmy Danger et Bryn Williams à la guitare, Finbar Forfar à la basse, Finn Anderson à la guitare et au violon ainsi que George Dimmock à la batterie. Six jeunes garçons pour débuter la soirée sans aucun préliminaire : Fruit nous délivrent un punk-noise écorché, empreint de noirceur et de rage, mais distillé de façon subtile et tendue, notamment sur
Finn's Song et le prenant
Racehorse Deathwatch. Un groupe mené par Josh Whithers, petit mec frêle en costume et cravate sombre avec chemise blanche, tel un jeune étudiant venant passer ses examens, si ce n'est la crinière peroxydée et la voix sombre et puissante digne d'un vieux pilier de bar.
Un charisme des plus étonnants, une prestance sur scène pour Josh nous remémorant à certains égards le côté mystérieux et destroy des toutes premières années de Nick Cave quand il menait sa Birthday Party (mais sans les coups de pompes dans le visages des spectateurs), Fruit nous délivrent trente minutes d'un set à couteaux tirés, plongeant immédiatement les présents dans leur rock tourmenté, glaçant mais tellement élégant. Alors programmés en tout début de soirée, se produisant ainsi devant un club à moitié rempli, on se doute que la prestation du groupe face à une salle comble et déjà échauffée doit encore plus gagner en ferveur.
A la question « are they gonna be big ? », l'examinatrice répond que malgré un patronyme étonnamment naïf, Fruit ont toutes les chances dans la foulée de Chalk et autres jeunes rockeurs ténébreux et tourmentés avant eux de frapper fort en 2025 avec, nous l'espérons, de nouveaux matériels à venir.
Le second set voit arriver sur scène le projet de Nick Hinman, musicien et producteur américain basé à Londres, nommé
Fast Money Music. Un nom sarcastique pour un rendu qui s'éloigne de tout ce que pourrait représenter la « fast money music ». Ici, Nick Hinman est accompagné de trois musiciens, dont un au saxophone rutilant, avec comme dress code le perfecto noir et le marcel blanc, un look de bad boys qui dénote d'avec le style que nous avons découvert à l'écoute de
Rouge, premier EP paru fin août.
Ce dernier se crantant plutôt dans une pop teintée des artifices très 80s que sont les synthés pétillants et les solos de saxophone à outrance, quelle n'est pas notre surprise de trouver sur scène une interprétation beaucoup plus intense, où les deux guitares rugissent et où la cadence de la batterie nous rapproche plus des Strokes que de Robert Palmer. On appréciera vivement
Hunky Dory et
Spaceman Opera (que de belles références au dieu du Rock), et surtout la reprise de
Eisbär de Grauzone, intitulé ici
Polar Bear, qui conclut le set de façon dynamisante. Nick Hinman occupe le devant de la scène avec brio, partageant la vedette avec John Waugh, le saxophoniste, qui arrive à faire résonner son instrument de façon très chaude dans tout le club. Un set hyper dansant, un style qui fait l'unanimité parmi tous le présents, une bonne demi-heure de rock qui brasse large dans des classiques indémodables.
A la question « are they gonna be big ? », l'examinatrice répond qu'il s'agit ici d'un style classique pour lequel nous avons une certaine affection, gamine des 80s que nous sommes, et la richesse du répertoire ne peut que guider Fast Money Music vers de glorieux sentiers.
La mi-temps débute et le club est enfin plein, nous en voulons pour preuve la traditionnelle file d'attente sur le trottoir que nous percevons depuis la baie vitrée. Une petite pinte de bière pour reprendre des forces et nous découvrons sur scène
Slaney Bay, groupe londonien constitué de Cait Whitley au chant et à la guitare, Joel Martin à la basse, Will Nicola-Thompson à la guitare et Jonny Burraway à la batterie. Slaney Bay proposent une pop catchy, portée par le chant très doux de Cait. Avec un premier EP déjà son actif,
Why Does Love Mean Loss paru l'an passé, le groupe démontre une véritable assurance sur scène, les derniers singles parus cette année
Countdown et
Break My Heart (For Fun) nous font découvrir un univers fortement teinté de dream pop avec ce petit sursaut grâce aux deux guitares qui apporte du cachet au tout. Cependant, l'acheminement des sets et cette petite pause plutôt sucrée fait un peu retomber la précieuse tension électrisante engendrée par les deux groupes précédents, ainsi, nous assistons plus poliment qu'autre chose à ce concert qui, nous n'en doutons pas, prendra une tout autre envergure dans un autre contexte.
A la question « are they gonna be big ? », l'examinatrice répond qu'il s'agit ce soir probablement du groupe qui l'est déjà le plus parmi les noms à l'affiche, et que sa pop très accessible ainsi que la bonne humeur et le charme de Cait Whitley trouveront forcément preneurs en 2025.
Il est dorénavant 23h, les enfants sont au lit, les derniers spectateurs ont forcé les portes du club pour venir occuper les derniers centimètres carrés disponibles, et pour faire face à la clim poussée à son extrême, nous pouvons littéralement commencer à mettre le feu avec l'arrivée de
YARD, trio composé de Emmet White au chant et au synthé, George Ryan au synthé et aux beats, et enfin Dan Malone à la guitare. YARD, en un seul mot, à ne pas confondre avec d'autres types de cours venant plutôt de Leeds, prennent leurs origines dans la belle Irlande, à Dublin. Point de post-punk ultra populaire aux looks et pochettes de disques douteuses, nous nous enfonçons ici dans les profondeurs de la scène electro noise irlandaise, où YARD vont de façon incandescente clôturer cette dernière mouture du TGBB.
Avec toute le matériel nécessaire sur scène, entre tables de mixage, ordinateur et guitare avec un pedal board impressionnant, le groupe nous fait plonger instantanément dans une ambiance délicieusement oppressante, jouant de toutes les distorsions possibles, avec des rhythmiques qui nous font frôler la tachycardie. On pénètre dans une techno brute de décoffrage avec
Auto Erotic ou
Call, aux accents rock à la Gilla Band ou Death Grip, appuyée par des cris gutturaux et un lightshow qui mèneraient directement à l'hôpital les épileptiques imprudents. Concentré en un set de peu ou prou quarante minutes (qu'il est aisé de perdre le fil du temps lorsque que l'on se retrouve immergé dans cette folie furieuse), YARD envoûtent les spectateurs qui se mettent tous à convulser, nous expulsant fissa hors des murs du Supersonic vers les plus grosses soirées electro où l'on se fond littéralement dans les masses informes de clubbeurs. Et pourtant c'est bien seulement face à deux-cent parisiens tous suant de bonheur que YARD enfoncent le clou de leur musique palpitante.
A la question « are they gonna be big ? », l'examinatrice répond que YARD représentent une passerelle salutaire entre rockeurs et clubbeurs, que la furie de leur électro noise ne peut faire que plus d'adeptes en 2025, venant encore plus étoffer le spectre musical qu'offre la foisonnante scène dublinoise actuelle.
Sur ce, l'heure des playlists et bilans arrive sur votre site, veillez donc à fignoler en ce sens votre liste au père noël, et rendez-vous au Supersonic en 2025 pour de nouvelles chasses aux futurs talents.