Il est des retours assez remarquables. Celui de Slowdive en fait partie. Le groupe de shoegaze britannique devenu culte depuis son arrêt prématuré en 1997 après seulement trois albums est réapparu en 2014, a confirmé alors son aura scénique en concrétisant le tout avec son quatrième album éponyme. Une pandémie et de lourdes pertes familiales pour Rachel et Neil après, le phénix a continué de s'élever dans le ciel avec
everything is alive, album qui a définitivement consacré Slowdive au firmament de la pop shoegaze. Avec le revival actuel de ce style qui à son origine était plutôt malaimé, en ces temps d'avènement du grunge au tout début des années 90, nombreuses sont les formations à avoir remis au goût du jour les joies simples d'une musique douce, éthérée, voire quasi intangible, portée par des chants susurrés et des guitares qui emportent tout sur leur passage.
Il était donc temps que les pionniers en la matière affirment leur rang. Nous assistons donc depuis plus d'un an au come-back sur les scènes du monde entier de Neil Halstead, Rachel Goswell, Nick Chaplin, Christian Savill et Simon Scott, et nous n'hésiterons pas à affirmer à notre tour que le temps et la maturité ont tout simplement embelli Slowdive. En 2023, les heureux détenteurs du sésame pour assister à l'émission Echoes d'ARTE Concert ont pu vivre dans des conditions privilégiées le retour du groupe en France. Depuis, une Cigale complète, des affiches sold-out en province, quelques festivals en France (et outre-Manche pour votre chroniqueuse qui vous recommande plus que chaudement de vivre Slowdive sous la voute étoilée d'une campagne anglaise) ainsi qu'une popularité grandissante parmi les plus jeunes générations de shoegazers.

Ce soir, rendez-vous nous est donné à la prestigieuse Salle Pleyel, et pour une fois, l'acoustique qui généralement se prête maladroitement aux groupes à guitares va offrir à la musique si profonde et aérienne du groupe des conditions optimum. Le concert affiche complet et réunit autant de fans des premières heures que de jeunes, voire très jeunes, admirateurs fascinés par la maîtrise de Slowdive de ce style audacieux et particulièrement exigeant. Comme à l'accoutumée avec le groupe, une imposante mise en scène à base de projections abstraites et psychédéliques, de vives lumières, néons et flashs stroboscopiques ainsi que des passages de pénombres à luminosité apporte toute la magie nécessaire à l'embellissement de sa musique. Nous retrouvons donc sur fond de
Deep Blue Day de Brian Eno les cinq anglais, avec en tête la rayonnante Rachel Gosswell, ce soir vêtue d'une robe noire vaporeuse et qui a dorénavant opté pour la coupe blond platine. Une entrée sur scène discrète et dès les premières secondes de
Avalyn, un sourire doux mais franc qui ne la quittera pas de la soirée. La setlist est ce soir très équilibrée, avec toujours cependant une petite majorité accordée à
Souvlaki, album de la consécration.
L'immensité de la salle et sa profondeur permet aux sonorités évanescentes et puissantes de Slowdive de se répandre partout, du parterre jusqu'au plus hauts balcons. La sensation souvent ressentie dans la Salle Pleyel de ne pas réussir à capter l'essence du spectacle est évitée ce soir tant les guitares portent leurs échos très haut et très loin. Le premier mur du son est atteint dès
Catch The Breeze, qui noie dans ses derniers couplets la salle sous une avalanche de flash aveuglants aux effets hypnotiques. S'en suit un enchainement où le chant passe de Neil à Rachel, cette dernière troquant selon les morceaux son clavier pour sa guitare, et nous retenons entre autre l'exceptionnelle qualité des dernières chansons issues de
everything is alive,
chained to a cloud et
kisses, la première plongeant l'assemblée dans une atmosphère délicieusement glacée, la seconde renouant avec l'esprit dream pop, cette tendance faisant donc actuellement le régal des nouvelles jeunes élites telles Night Swimming, deary ou les excellents Whitelands.

Ce qu'il ressort de ce concert est la capacité qu'ont Slowdive à plonger leurs audiences dans des cocons ouatés, passant de temps très calmes à orageux. La fin du concert avant le rappel se fait alors crescendo, passant des sonorités très synthétiques de
Sugar For The Pill et
Slomo, où le chant de Neil se fait des plus entêtants, à des versions d'
Alison et de
When The Sun Hits beaucoup plus affirmées sur scène que sur disque, où les guitares de Neil et Christian semblent presque s'affronter pour atteindre le maximum d'intensité, sans venir pour autant écraser les chants en canon.
Le groupe entame alors le rappel sur un trio intégralement issu de
Souvlaki, avec comme point d'orgue une interprétation cosmique de
Dagger, où la guitare acoustique et le chant tant fort que fragile de Rachel figent littéralement sur place les spectateurs. Cet incroyable moment de solennité prend fin avec
40 Days, interprétation majestueuse qui termine d'enfoncer le clou d'une prestation que l'on peut décemment caractériser comme l'une des meilleures (si ce n'est la meilleure) de Slowdive à laquelle nous avons assisté.
Slowdive, après une carrière mouvementée et entrecoupée d'un très long hiatus, réussissent à mettre tout le monde d'accord en 2025 : ils demeurent à ce jour la référence shoegaze absolue, celle qui allie à la perfection délicatesse et puissance, introspection et fureur, joie et tristesse.