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Benjamin Clementine

Paris, Olympia - 8 avril 2025

Live-report par Adonis Didier

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Sur une plage abandonnée, devant le bleu d'une mer en noir et blanc, un homme court. Ses muscles bandés, son torse glabre, sa sueur qui ne lui coule pas dans les yeux. L'image parfaite d'un athlète raffiné, fort et délicat, pur arabica. S'enfonçant dans la jungle, l'homme rafraîchit son esprit sous la force d'une cascade, un vol plané comme Bebel, contre-champ, l'homme est un cow-boy chevauchant dans le soleil couchant. Travelling compensé, l'homme court sur les ponts de Paris, une femme le poursuit, il pleut, la ville lumière fait éclater chaque goutte d'eau en un millier d'étoiles tapissant le plan nocturne. Des lettres rouges sur le boulevard des Capucines. Un homme noir devant un piano blanc. Benjamin Clementine.

Vous n'avez rien compris ? Tout cela vous fait étrangement penser à une pub pour parfum sans queue ni tête ? Eh bien c'est normal, car l'Olympia accueille ce soir Benjamin Clementine, un type un peu perché au talent immense, un type avec une vie qui ne tiendrait pas sur trois biographies et qui a déjà décidé d'en commencer une nouvelle, exit la musique, direction le cinéma, mais pas sans un dernier album et une dernière tournée d'adieu. Sir Introvert And The Featherweights, le quatrième album de l'artiste qui devait sortir le 14 février dernier pour la Saint-Valentin et dont on est toujours sans nouvelle aujourd'hui, et finalement tant pour les US que pour l'Europe une tournée d'album sans album, mais croyez-moi on n'est plus à une bizarrerie près. Des bizarreries qui commencent avec la première partie, format contrebassiste costumé qui joue seul dans une expo d'art, et malgré tout le talent de Matthew Jamal, modèle/musicien qui sera aussi le bassiste et violoncelliste de la soirée, on n'était pas forcément venus pour ça.


Ceci dit, sait-on seulement pourquoi on est venu ? Non, alors autant profiter et commencer à applaudir d'un air snob. Un air snob qui nous servira à rendre bien devant les caméras, car ce soir c'est le show, avec une grue et au moins trois caméras réparties dans la salle, pour saluer l'entrée en scène de l'homme qui s'est fait attendre, l'homme qui a joué dans Dune et défilé pour Burberry, Benjamin Clementine. Un Benjamin qui entre en scène dans son plus beau manteau de proxénète à fourrure (on espère que c'est de la fausse...) avec évidemment rien en-dessous, accompagné derrière lui par son groupe en costume de soirée, chacun derrière un pupitre et un microphone, avec de gauche à droite Matthew Jamal la première partie, Rupert Cox le maître de l'électronique, Kiko Soares le guitariste de gala, et Matanda le percussionniste avec son pad et sa caisse claire.
Benjamin Clementine, seul sur le devant de la scène avec son grand piano blanc, qui commence la soirée en nous présentant ses derniers titres encore inédits. Les jeux d'ombre sur l'estrade blanche sont parfaits, l'homme hurle à la mort où est passée la lumière et celle-ci revient, l'écran géant derrière lui diffuse la pluie quand tombent des averses de basses électroniques, et le one-man show se lance de la plus belle façon jusqu'au premier single disponible du dernier album, Toxicaliphobia. Une version infiniment plus puissante que celle du studio, qui rappelle par son gospel tribal les merveilleux Young Fathers, et traite en des termes choisis de la nouvelle vie de l'artiste en Californie. L'occasion pour Benjamin de se poser sur son tabouret de bar et de se mettre au piano, à moitié debout, et c'est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup. Un Benji qui se sent seul et qui fera sortir d'Elizabeth Taylor's Bag huit musiciennes vêtues de blanc, déambulant sur scène autour de lui et jouant respectivement du violon, du violoncelle, de la flûte, de la clarinette, du basson, et d'autres tubes dans lesquelles on souffle qui font défaut à ma culture.

Des musiciennes qui auront plus ou moins de boulot tout du long de la soirée, et qui passeront un certain temps assises à se demander ce qu'elles foutent là, mais qui seront du plus bel effet sur les chansons que l'on était venues voir, ces perles de musicalité sensible tirées d'un sublime troisième album nommé And I Have Been : Genesis et Delighted. Et puis la vie reprend, on passe par des gros beats électro, une vibe gospel cowboy qui renvoie encore une fois au rêve américain, à sa Californie, l'homme sort un attrape-rêve géant de derrière son piano et se met à fouetter l'air avec, puis son piano, avant de jeter la décoration disproportionnée dans le public et de s'en aller dans les coulisses.


Et là, c'est le début de la fin. Matthew Jamal revient nous proposer cinq minutes de violoncelle en solo que personne n'avait demandées, Benjamin Clementine retourne au piano en duo et bricole des trucs que personne ne comprend, un sursaut arrive des quelques chansons du premier album, majoritairement en piano-voix soutenues par le backing band, les musiciennes sur le côté font de la jolie figuration, l'écran géant diffuse des vidéo clips en noir et blanc starring Benjamin Clementine dans le rôle principal, et autant le début du concert était absolument charmant, autant le rappel sera un mélange complexe alliant moments de grâce et prise d'otages en bande organisée d'un public circonspect, qui n'avait vraisemblablement pas réservé sa soirée pour une performance d'art contemporain. Ainsi, on passera dans ce rappel de « nothing is final » chantés en chœur une trentaine de fois à la demande de l'artiste (et vraiment, c'était long), à la magnifique I Won't Complain reprise par tout le public derrière elle, pour déboucher sur une fin de boîte de nuit remplie d'électro et de foule qui tape dans les mains.

Enfin la fin ? Eh non, pas vraiment, mais comme il est revenu une dernière fois pour nous jouer Cornerstone, seul au piano, personne ne lui en tiendra rigueur et on ressortira de là sur une très belle note et le sentiment de n'avoir rien compris à cet homme qui désormais se tourne vers le cinéma. Un homme qui nous aura quand même régalés de belles et drôles interactions en français avec le public, car faut-il rappeler toutes les années qu'il a passées à Paris, d'abord en tant qu'artiste vagabond puis comme figure de la scène musicale et enfin top model. Un long chemin semé de clous et d'embûches qui se termine dans les deux villes les plus importantes de l'histoire de Benjamin Clementine, l'Olympia à Paris puis le Troxy à Londres, conclusion d'une carrière musicale de quatre albums qui n'auront pas toujours fait l'unanimité, qui ont pu par moment, comme lors de ce concert, se perdre en concepts artistiques et en circonvolutions alambiquées, mais qui auront su atteindre lors du plus beau des albums des sommets que peu avaient déjà touchés avant lui.

Un homme fait de très hauts et de très bas, un type un peu perché au talent immense auquel on souhaite bonne chance dans sa future carrière et qui, même si on ne le comprendra jamais vraiment et qu'il nous a fait vivre de beaux moments de malaise ce soir, restera à tout jamais comme un artiste atypique ayant marqué l'histoire de la musique franco-anglaise, ce jazz-pop un jour inventé par Serge Gainsbourg et que personne n'avait encore jamais égalé jusque-là.
setlist
    Damn Abraham
    Nicholas Nepolitano
    Toxicaliphobia
    Elizabeth Taylor's Bag
    Spare Me The Shakespeare
    Genesis
    Delighted
    Nemesis
    Phantom Of Aleppoville
    Sin Of Michael Chin
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    Adios
    I Won't Complain
    Condolence
    Tempus Fugit
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    Cornerstone
photos du concert
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