logo SOV

Anna B Savage

Paris, Petit Bain - 13 avril 2025

Live-report par Adonis Didier

Bookmark and Share
Elle flotte, elle flotte. De son Irlande d'adoption jusqu'au quai de la gare, portée par les vents de la musique, elle vogue, avec sur sa proue une seule phrase : You & i are Earth. Le troisième album d'Anna B Savage, un album où toi et moi nous sommes la Terre qui sera présenté sur la mer, enfin sur une eau qui un jour finira dans la mer, cette majestueuse Seine sur laquelle danse et ondule la péniche du Petit Bain.

Un concert du dimanche soir qui, comme souvent les dimanche soirs, ne sera pas complet mais rempli de gens motivés à l'idée d'être là, là devant Daudi Matsiko et son folk minimaliste, doux et torturé, quelque peu résigné sur son sort. Le « King of Misery », chanteur-guitariste ougando-britannique qui jouera pendant une petite demi-heure ses chansons de folk aérien tout en retenue et en sobriété. Parfois trop en retenue et en sobriété, mais certains ont apparemment adoré et le public ne s'est pas endormi au milieu, donc laissons les goûts et les couleurs à ceux qui les apprécient et avançons jusqu'au main event de la soirée, celle que l'on a préféré à notre épisode hebdomadaire de l'inspecteur Barnaby, la seule et l'unique Anna B Savage.


Enfin seule, pas tout à fait, mais unique, qui oserait en douter alors que rentrent en scène Anna et son groupe, qui ce soir ne sera composé que de Peter Darlington à la basse et Joe Taylor à la batterie, les claviers de Genevieve Dawson ayant été remplacés pour cause de maladie par le magnifique tapis qui trône au milieu de la scène et occupera toute la soirée l'espace central. Un espace central autour duquel seront répartis les trois musiciens, alors même que l'air s'emplit du frisson naturel généré par le souffle d'Anna, du grattement de ses doigts sur les cordes de bronze, des cris contre l'engourdissement qui hantent l'implosion finale de Corncrakes. Un début de set retraçant le parcours de la musicienne : on commence par le premier album, on poursuit par Hungry et son deuxième disque, quand Anna avait encore faim, faim de tout, faim de temps avec toi, faim d'amour, et on débouche comme dans un conte de fées par un titre qui signifie que tu es ma musique, Mo Cheol Thú.


La première chanson jouée ce soir de son troisième et dernier album en date, et l'occasion de revenir en détail sur la nouvelle direction prise par l'artiste, tant en musique que dans la vie. Cet homme pour lequel elle a déménagé en Irlande, avec lequel elle s'est mise à écrire des chansons plus optimistes, plus joyeuses, centrées sur un retour à la terre et aux instruments acoustiques. Un récit évoquant aussi comment la colonisation anglaise a failli faire disparaître la langue irlandaise, cette langue qui ne sait dire je t'aime qu'en parlant de musique, et dieu que la musique était belle. Car si Dieu faisait de la musique en 2025, alors Dieu serait irlandais, et Anna B Savage danserait avec lui, et jouerait et chanterait avec lui des chansons qui parlent de phares et d'arbres couverts de mousse, de ports de pêche et de forêts aux formes féériques, jusqu'à fermer les yeux et laisser la musique atteindre nos rêves.
I Reach for You In My Sleep, Lighthouse et Talk To Me ondulent au rythme des balancements de leur chanteuse, le jeu délicat de Peter Darlington à l'archet fait merveille, ancre l'ensemble dans une terre noire recouverte d'herbe verte, Joe Taylor devient le vent qui caresse ses fûts et ses cymbales, celui qui glisse langoureusement sur les soirs d'été, qui frappe et balaie le visage buriné des marins pris dans la tempête. A eux trois ils sont la mer, la terre, et le vent, ils sont ce que l'Irlande a de plus beau et de plus rude, ils sont l'amour d'Anna B Savage pour un pays et pour un homme, elle qui prend le temps de dire au public que « si vous ne connaissez que mes deux premiers albums, ça doit vous faire un choc ce que vous entendez depuis tout à l'heure, mais c'est normal, ça va mieux ! ».


Ça va mieux mais, rassurez-vous, les chansons où ça n'allait pas sont toujours là, et quelles chansons mon dieu ! Oui on met dieu à toutes les sauces ce soir, en rosbeef à la menthe comme en irish stew, mais m'est avis que le grand barbu n'a pas pu s'empêcher de passer une tête devant l'intensité furieuse de Say My Name, toute cette tristesse, cette perte de contrôle, cet emprisonnement de sentiments retenus les dents serrées et délivrés par un simple nom et un climax musical spectaculaire. Les dents grincent, les cordes grincent, les cymbales grincent, et d'un geste tout explose, quelque chose a changé et le public hurle et libère lui aussi cette tension qu'il avait fait sienne. Pavlov's Dog suit et enflamme la péniche, la foule danse et se laisse emporter dans le tourbillon Anna B Savage, une tornade, un ouragan qui déchire le ciel au beau milieu d'inFLUX quand la chanteuse brise la formation et se jette à terre en hurlant sur un tapis dont on comprend maintenant l'utilité. Un sommet dont on redescendra par A Common Tern et You & i are Earth, avant qu'Anna ne nous présente son merchandising, très littéralement en nous sortant sur scène casquettes et t-shirts conçus par l'artiste elle-même, qu'elle remercie le public parisien, le Petit Bain cette salle formidable, et que l'on embarque avec elle dans le dernier looping émotionnel de cette soirée.

Donegal en version boostée par un backing band à la fois subtil et efficace, et The Orange devenue un classique de la conclusion, de l'aveu même de l'artiste la « première chanson gentille à mon encontre que j'ai jamais écrite », une chanson à l'optimisme réaliste et contagieux, et si c'est tout ce qu'il y a pour ce soir, alors tout va très bien se passer. Comme tout s'est très bien passé lors de ce magnifique concert d'Anna B Savage, un voyage fait de tristesses et de joies au sein de la carrière musicale d'une artiste à fleur de peau, sincère et capable comme très peu d'insuffler ses émotions les plus profondes à une foule transie. Transie de tout, car Anna B Savage est toutes les émotions à la fois maintenant que bonheur et amour ont trouvé une place dans sa vie, et après une ultime embrassade avec son groupe, une dernière révérence faite à une foule qui en redemande, l'artiste quitte la scène et retourne flotter, dans nos rêves, dans nos souvenirs, et sur les côtes de ce pays qu'elle a si bien fait sien qu'elle y est née une deuxième fois.

Anna B Savage, divin enfant de l'Angleterre et de l'Irlande, divin enfant dont la ville de Paris ne pourra bientôt plus se passer, alors reviens Anna, reviens, car tu es notre musique, et sans musique on ne peut pas vivre.
setlist
    Corncrakes
    Hungry
    Mo Cheol Thú
    Incertus
    I Reach For You In My Sleep
    Lighthouse
    Talk To Me
    Say My Name
    Pavlov's Dog
    inFLUX
    A Common Turn
    You & I Are Earth
    Donegal
    The Orange
photos du concert
    Du même artiste