Un long week-end de Pâques se dessine, et quoi de mieux que de sortir notre baluchon pour aller nous balader en Eurostar chez nos voisins anglais. Après s'être pliée à la nouvelle exigence du visa qui ne sert à rien car nullement vérifié (si ce n'est débourser 13€ pour les faux frais de sa Majesté le Roi), votre chroniqueuse part pour Londres, non pas pour y chasser les œufs mais pour retrouver ses gallois préférés, les Manic Street Preachers. A nouveau, nos amis se concentrent sur le Royaume-Uni pour cette tournée qui met à l'honneur
Critical Thinking, nouvel opus sorti en février et qui, vous l'avez lu, ne nous avait que partiellement convaincus. L'occasion se présentait donc de vérifier la tenue de ces titres en live, les Gallois étant des performers hors pair, et ce depuis plus de trente ans maintenant.
Direction le Shepherd's Bush Empire, devenu O2 Shepherd's Bush Empire pour cause de mainmise de cet opérateur téléphonique sur une grande partie des salles de concert en Angleterre. Cadre pittoresque, tout en moulures, sièges en velours rouge et triple balcon, le site n'a rien perdu de son charme. Deux dates sold-out depuis de très nombreux mois et le retour en force des fans des premières heures, fidèles qui affichent toujours les couleurs du groupe, soit du militaire et des boas à plumes et paillettes pour la période early 90s, et une armada de tee-shirts qui fait état de toutes les phases traversées par les "Manics".

En première partie, nous avons l'opportunité de croiser Catherine Anne Davies, ou
The Anchoress. Dernièrement aperçue l'été dernier lors des concerts outdoor qui réunissaient les Manic Street Preachers et Suede, cette dernière y partageait quelques-uns des duos féminins que le groupe a disséminé sur ses albums. The Anchoress, malgré plus de dix années de carrière, n'a jamais traversé la Manche et demeure donc inconnue sur nos terres. Nous avions tout de même pu tester son incroyable voix lors de son album commun avec Bernard Butler,
In Memory Of My Feelings, paru en pleine pandémie en 2020. Catherine Anne Davies se présente comme une musicienne et chanteuse haute en couleurs, avec ses cheveux roux et ses tenues toujours très vives. Son jeu de scène mêlant charme et flamboyance lui permet de dégager un véritable charisme, et ses morceaux très glamour font fortement effet sur le public.
Son dernier album
Versions paru en 2023 étant un recueil de reprises de grands groupes tels New Order, The Cure, Depeche Mode et bien évidement les Manic Street Preachers, il nous dévoile une artiste très inspirée et qui s'accommode de façon aisée de tous les styles. Sur scène, entourée de pas moins de quatre claviers et d'une bassiste, d'un guitariste et d'un batteur, son style prend des allures plus rock et on se laisse facilement convaincre par cette artiste multi-instrumentiste sans connaitre son répertoire. Amie de longue date des Gallois, The Anchoress répond à nouveau présente et rejoindra par la suite sur scène James Dean Bradfield, en exclusivité pour le public londonien.
Un peu d'attente, des rangs qui se resserrent fortement, des pancartes et des plumes roses qui se dressent de-ci, de-là, les fans sont fins prêts pour accueillir leurs héros. Ce soir, nous trouvons aux claviers Dave Eringa, producteur de la quasi-totalité des albums du groupe dont les plus fameux tels
Everything Must Go,
This Is My Truth Tell Me Yours ou plus récemment,
The Ultra Vivid Lament. Grace à leur esthétique toujours très pointue, la scène se parre de citations diverses d'écrivains ou intellectuels, et pour ce second soir plus précisément les mots de Cindy Sherman, photographe et artiste graphique américaine. Le show débute sur un excellent remix de
Critical Thinking au tempo upbeat très prenant. Les spotlights rouges vifs se mêlent à la vidéo chromatique d'une route qui défile et c'est sous cette avalanche de lumières contrastées que le groupe pénètre sur scène, soit James Dean Bradfield, Nicky Wire et Sean Moore, toujours accompagnés de Wayne Murray à la guitare.

Pour cette nouvelle tournée, une place conséquente est faite à
Critical Thinking, soit cinq titres, et bien que toujours construite autour des indétrônables classiques, la setlist ira piocher dans leur malle aux trésors en y dénichant quelques raretés. Le concert débute sur
Decline & Fall, un des morceaux que nous avions trouvés plutôt passe-partout mais qui s'affirme beaucoup plus ainsi joué sur scène. Quant aux singles les plus réussis, ils seront bien présents avec
People Ruin Paintings et
Dear Stephen, lettre ouverte à Morrissey, leur idole de jeunesse, lui demandant humblement de redescendre un peu sur terre avec son message affiché sur l'écran vidéo « I've been the boy with the thorn in his side ».
Critical Thinking, le single le plus rock du disque, est joué pour la première fois avec Nicky Wire au chant. En guise de premier duo se présente Lana McDonagh sur
Hiding In Plain Sight, avec Nicky à la guitare acoustique, qui nous gratifie d'une intro reprenant
Ocean Rain d'Echo & The Bunnymen.
Heureuse surprise de retrouver disséminés sur les deux soirées quelques raretés comme
She Is Suffering de
The Holy Bible qui n'a pas perdu une once de sa puissance trente ans après,
Australia, ou
Peeled Apple issu de très méconnu
Journal For Plague Lovers. James Dean Bradfield passe en solo à la guitare avec une version bouleversante de
Ready For Drowning interprétée à moitié en gallois le premier soir et
This Sullen Welsh Heart avec pour cette seconde date The Anchoress venant se joindre à lui.
Mais ce qu'attendent les fans est la série de classiques indéboulonnables du groupe. Personne ne sera déçus avec
Enola/Alone, une version de
The Everlasting passant de acoustique à full band de toute beauté, les premiers succès avec
Motown Junk,
Motorcycle Emptiness où Nicky perpétue la tradition de faire acclamer Richey Edwards, ainsi que les hymnes
Design For Life et
If You Tolerate This Your Children Will Be Next, les deux avec canons de confettis pour les célébrer à leur juste valeur.

C'est un groupe fidèle à lui-même que nous retrouvons sur cette tournée, Sean Moore incarnant la force tranquille et canalisée sur ses fûts, paré maintenant d'une barbe de hypster du plus bel effet, Nicky Wire et son éternel look glam, qui continue d'hypnotiser les foules et de drainer dans son sillage de nombreux petits ersatz avec plumes et paillettes, et James Dean Bradfield, au jeu de guitare qui semble continuer de se bonifier avec le temps si tant est que cela lui soit encore possible tant il excelle en la matière. Ce dernier n'est pas avare en commentaires : il évoque ses années londoniennes dans le quartier de Shepherds Bush, les nombreux concerts londoniens donnés durant toute leur carrière et s'excuse de ne pas se plier à sa tradition des petits sauts de jambes sur scène pour cause de genou en miette et d'une petite cinquantaine bien entamée.
L'ambiance ira crescendo les deux soirs mais c'est bien le second show qui verra la fosse la plus agitée, sautant et dansant le plus fiévreusement et qui permettra aux Manic Street Preachers de confirmer leur statut de National Treasure au Royaume-Uni. Plus d'une heure et demie d'un voyage dans les arcanes si riches et fascinantes du groupe, qui continue de faire réellement la différence sur scène, y poussant au maximum le potentiel de ses titres et permettant de gommer les aspects les plus mainstream que l'on peut trouver sur certains des albums. Les Manic Street Preachers, en plus d'être le meilleur groupe de rock gallois, continuent de figurer parmi les meilleurs performers rock britanniques, et leurs passages d'arénas à grandes scènes de festivals ne les empêchent pas de demeurer extrêmement proches de leur public en restant humbles face à leur succès.