deary

Flashback. Nous sommes en 1991, vous avez quinze ans et deux œuvres parues à quelques mois d'intervalle s'apprêtent à changer votre vie, celles de quelques centaines de milliers d'autres teenagers à travers le monde et accessoirement ce qu'on peut appeler la pop-culture. Ces deux astres noirs et fascinants, objets d'un culte sans pareil, traverseront les époques et les générations sans perdre une once de leur mystère. Nous sommes en 1991, vous écoutez Loveless de My Bloody Valentine dans votre chambre mais votre sœur vous hurle de vite descendre car le nouvel épisode de Twin Peaks va débuter. Vous foncez dans le canapé du salon, oubliant d'étendre votre chaine hi-fi, mais c'est trop tard, le générique débute. La voix douce aussi accueillante qu'effrayante de Julie Cruise se mêle alors aux échos lointains de guitares de la bande de Kevin Shields. Vous ne le savez pas encore mais vous êtes en train d'apprendre une leçon majeure, rien ne sert de comprendre une œuvre d'art pour l'aimer, au contraire on l'aime pleinement tant qu'on ne la comprend pas complètement. Vous ne le savez pas encore, mais vous êtes déjà en train d'écouter deary.

On se calme tout de suite, cet EP de deary, aussi bon soit-il, n'atteint pas les sommets des œuvres précitées, ni même celles du premier album de Mazzy Star sorti quelques mois plus tôt et dont l'influence se fait nettement sentir. Si vous étiez une personne sensée vous auriez déjà arrêté de lire cette chronique pour vous ruer sur cet EP. My Bloody Valentine, Twin Peaks, Mazzy Star, il vous en faut plus ? 1991 est également l'année de (Everything I Do) I Do It For You de Bryan Adams et de Diego Libre dans sa tête de Johnny Hallyday, mais aucune trace des deux plus gros succès de l'année n'a été recensée par nos analystes dans les six chansons de deary. Sans apporter réellement aucun élément nouveau au genre, cet EP est peut-être une des plus belles propositions de dreampop aux accents shoegaze entendue ces dernières années.

Qu'est-ce qui nous séduit autant chez deary ? Les guitares saturées à la My Bloody Valentine sur Heaven, les faux airs d'Echo And The Bunnymen sur Only Need, l'introduction à la Beach House sur Fairground, la voix de velours à la Mazzy Star sur Want You, les boucles entêtantes à la Broadcast sur Sleeping, la beauté ténébreuse et mélodique à la Cocteau Twins sur Beauty In All Blue Satin ? Un peu de tout ça, mais aussi le fait qu'au lieu de crouler sous ces références, deary imposent leur style, évitent le revival ou le pastiche et proposent six morceaux presque parfaits, aussi légers qu'intemporels.

Qu'avez-vous à faire de mieux les vingt-trois prochaines minutes que d'écouter l'EP de deary ? Rien. Vous avez raison, laissez-vous plongez dans cette univers beau, cotonneux et paradisiaque car croyez-nous, « in heaven everything is fine ».