CIEL

On concluait la chronique du précédent EP de CIEL, Make It Better, officiellement le quatrième, mais « seulement » le deuxième du trio Michelle, Jorge, et Tim, en évoquant l'espoir de voir un album arriver peu de temps après. Si vous êtes perspicace et que vous avez lu l'entête de cet article, vous vous rendez bien compte que non, et que si on se revoit aussi vite cette année, ce n'est pas pour la chronique d'un album mais pour celle de la seconde moitié de l'EP précédemment évoqué : Rather Be Alone.

Vendu en avance de phase au stand de merch de leur récente tournée en Europe et au Royaume-Uni en support de Blood Red Shoes puis Pale Blue Eyes, ce nouvel EP se retrouve ainsi comme face B d'un vinyle compilant leurs deux EPs de l'année écoulée, une bonne manière d'apprécier l'impressionnante évolution musicale du trio depuis des débuts beaucoup plus dociles et référencés. De cette évolution, Make It Better signait le passage de l'adolescence à l'âge adulte : le corps est formé, plus musculeux, plus solide, le temps n'est plus à la découverte mais à la performance, l'influence de Steven Ansell à la production se voyait pleinement réalisée, et l'EP réussissait l'exploit de rester émotif et à fleur de peau tout en roulant compressant tout sur son passage.
Mais vous savez ce qu'il se passe une fois adulte ? On devient compétent dans son boulot et dans sa vie perso, si compétent qu'on trouve une formule qui fonctionne, un équilibre de vie parfait les six premiers mois, agréable l'année d'après, satisfaisant l'année suivante, et insupportablement routinier jusqu'à la crise de la quarantaine. De la même manière, Rather Be Alone compile quatre chansons surpuissantes aux formats extrêmement similaires, des couplets roulant sur la ligne de basse et le talent aux toms de Tim Spencer, un pré-refrain montant lentement les dents serrées, miroir de la frustration de Michelle Hindriks, pour exploser dans un refrain B-52's volant sur la voix aérienne de Michelle, bombardant les oreilles de distorsion lourde, lacérant les neurones de ces fines lignes de guitare évanescentes, éclairs d'écho et d'artifices ouvrant le ciel en deux. Un tremblement de terre auditif qui trouve son apogée dans le final tempêtueux de Talk, le plus gros déferlement sonore de la carrière du groupe, et une preuve de plus que le trio maîtrise désormais sa puissance de feu à la presque perfection.

So, why do you adore me ? Pourquoi m'adores-tu ? Une question répétée en boucle pour une réponse qui expliquera la très légère inquiétude que l'on se fait aujourd'hui pour CIEL : si on vous adore, c'est pour la diversité sonore et émotive que contenaient Not In The Sun Nor In The Dark puis Make It Better, ce talent pour alterner les tempos, les formules, avec une même intention et personnalité, qui rendait chaque chanson à la fois unique mais aussi pièce d'un puzzle immense peignant toutes les couleurs du CIEL sur nos tympans. L'asphyxie lente, la claustrophobie, et l'explosion libératrice de So Scared, l'aspect fun, badin, et presque lo-fi de Somebody, les wooo wooo de Seeking, la gravité aérienne de Not In The Sun, Nor In The Dark.
CIEL, ce sont toutes ces choses, toutes ces chansons à la fois, là où Rather Be Alone s'oublie dans une formule répétée qui, si elle fonctionne terriblement bien, s'essouffle déjà sur la longueur d'un EP de quatre chansons. Un EP avec un sentiment ambivalent donc, celui de compléter le puzzle avec tous les bords du coucher de soleil dans une suite grandiose et enflammée, mais de voir du orange et du rouge partout, on ne serait pas contre quelques nuages pour retrouver un équilibre.

Finalement, par volonté de trop bien faire, de vouloir muscler les prestations live, par volonté de se rassurer aussi peut-être, ce nouvel EP excelle dans un seul registre là où CIEL nous avaient laissé entrevoir qu'ils pourraient exceller dans tous, et même si l'on va bien évidemment l'écouter en boucle comme les autres, on ne peut s'empêcher de se tourner quelques instants vers le CIEL, et prier pour que celui-ci apporte toujours plus de couleurs à nos oreilles.