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John Glacier

Duppy Gun EP

John Glacier - Duppy Gun EP
Chronique Single/EP
Date de sortie : 20.06.2024
Label :Young
45
Rédigé par Franck Narquin, le 2 juillet 2024
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Bonjour, comment ça va ? Ah non, je parlais de vous, pas de l'état du monde en général et de la France en particulier, voire de celui du nez de Kylian Mbappé dont la vision pourrait se trouver réduite par le port obligatoire du masque (Coïncidence ? Je ne pense pas !) et ainsi nuire à ses performances sportives entraînant une défaite prématurée de l'Equipe de France de Football à l'Euro organisé par nos voisins et amis Allemands, inventeurs du Krautrock et du National-Socialisme, empêchant ainsi l'attendue union nationale (qui, pour rappel, consiste à dire « quand même il y en a des biens ») et ayant pour conséquence finale la victoire du Rassemblement National aux Elections Législatives du 7 juillet 2024 (ça ressemble à une date de victoire en finale de Coupe du Monde ou à une Fête Nationale, pas au jour où le pays des Droits de l'Homme s'est tapé la honte mondiale de sa life). En plus, on a ici des sujets un peu plus importants à traiter, comme cet EP de John Glacier. Quoi ? Vous ne connaissez pas encore John Glacier ? C'est pourtant officiellement la deuxième meilleure rappeuse anglaise juste derrière l'indétrônable Little Simz. Mais surtout n'ayez pas les boules, nous allons de ce pas vous mettre au parfum et vous saurez tout sur John, notre glacier préféré depuis Raymond, le personnage interprété par Isaach de Bankolé dans Ghost Dog, le thriller samouraï hip-hop de Jim Jarmusch.

Duppy Gun, nouvel EP de cinq titres de John Glacier succède à Like A Ribbon , sorti au mois de février dernier sous le même format, avec lequel il forme un diptyque, soit un album en deux temps tout aussi charmant qu'une valse à trois temps. Contre toute logique, Like A Ribbon , paru en hiver, en était le versant solaire, par moment presque guilleret avec ses accents pop et électroniques, tandis que i>Duppy Gun, éclot au solstice d'été, incarne son versant sombre et dépressif et flirte avec la mélancolie trouble de Tirzah, les sons heurtés du dernier album de Liv.e et l'inventivité formelle de Calamity, une des plus belles promesses du hip-hop expérimental français. On vous déconseille ici de suivre toute logique car John est une femme et sa musique atypique et inventive, mutant à chaque projet sans jamais porter son génie en bandoulière, n'a rien d'un produit surgelé et refuse systématiquement tout vernis glacé.

En revanche l'ascension de John Glacier suit la plus stricte logique. Repérée par Dean Blunt avec lequel elle a collaboré pour le projet hip-hop Babyfather paru sur son label World Music, la rappeuse d'Hackney a crevé l'écran en 2021 avec SHILOH : Lost For Words, remarquable debut-album produit par Vegyn et sorti sur son label PLZ Make It Ruins. Elle est ensuite venue parler doucement au petit prince des platines, en posant son flow 50 % lancinant, 50 % nonchalant 100% fascinant sur deux titres de son second LP, le grand, le magnifique, l'inusable, le déjà classique The Road To Hell Is Paved With Good Intentions . Je vois que vous avez tiqué aux noms de Dean Blunt, World Music, Vegyn et PLZ Make it Ruins. Vous avez l'impression d'avoir déjà lu ailleurs un tel CV ? Bien vu ! Un grand bravo à vous et si en plus vous avez trouvé le nom du groupe, sachez que nous recrutons mais que le travail est ici autant rémunéré que les espoirs portés en Emmanuel Macron (ndlr : car faut-il le rappeler, depuis sa création il y a plus de vingt-ans tout le monde est bénévole chez Sound Of Violence). Un indice sur l'identité du groupe précité apparaît en bas de votre écran : c'est bar italia.

Et la réponse était bar italia (désolé Micheline du Var, ce n'était pas Jordan Bardella cette fois, essaie encore, en fait non, n'essaie plus, plus jamais même !) ! Encore un grand bravo à tous les vainqueurs, vous pouvez envoyer vos CV à la rédaction. En effet, John Glacier a suivi le même parcours et a été formée par les mêmes mentors que le trio londonien auteur du grand, du magnifique, de l'inusable, du déjà classique Tracey Denim. En toute logique, elle suit donc scrupuleusement les deux mêmes crédos, « art über alles » et « experimentieren macht frei », faisant d'elle une des artistes hip-hop les plus prometteuses et inventives d'Angleterre. John Glacier serait donc le bar italia hip-hop ? Ce petit raccourci journalistique s'avère en même temps indéniablement vrai (l'esprit, la démarche et les parrains sont les mêmes) et incontestablement faux (tout le reste est différent). Néanmoins ne jetons pas si vite aux ordures cette analogie certes décevante mais sur laquelle repose l'essentiel de notre projet de chronique, comme nous jetions adolescents nos Vans trouées, ces chaussures si cools, à la fois sport et citadines dont on nous avait promis qu'elles allaient nous permettre d'enfin maitriser nos planches à roulettes et d'ainsi séduire à coup sûr les plus belles filles du lycée pour courir s'acheter au prix fort de rutilantes Jordan toutes neuves sans se soucier une seule seconde des horreurs pourtant connues de tous qui se déroulaient dans leurs usines délocalisées (oui j'ai une CAP indignation à la Sophie Marceau et métaphores à la Tuche, mais c'est toujours mieux que ce BTS petit facho qui revient à la mode).

Notre analogie n'était peut-être pas si décevante tant les fondamentaux de ces deux formations, leur vision d'une musique sans œillères et leur manie de cacher leur travail derrière une apparence de slackers sont proches l'une de l'autre. Ainsi il est fort probable que si bar italia vous ont conquis au premier accord, vous succombiez sans peine à l'univers de John Glacier tandis que si les premiers vous ont toujours paru surcotés et trop brouillons, la seconde pourrait vous laisser irrémédiablement de glace.

Si vous découvrez tout juste l'existence de John Glacier, on vous conseille bien sûr son premier album produit par Vegyn, dont l'empreinte forte et le style marqué avaient un peu tendance à cannibaliser le projet et à en faire un disque du producteur interprété par la rappeuse (ce qui reste un casting cinq étoiles), ainsi que ses deux EP de 2024 sans oublier de jeter une oreille sur JGSG (acronyme de John Glacier - SURF GANG), son mini-LP de 2023 co-signé avec le collectif new-yorkais SURF GANG et tout particulièrement sur le délicieux single REGAL. Allez-y franco car l'intégrale de son œuvre (hors featurings) ne dure que soixante-trois minutes, soit la durée d'un long-métrage de Quentin Dupieux et comme les films de ce drôle d'oizo, c'est court, inspiré, inégal mais unique en son genre. Désormais artiste du label Young (connu en tant que Young Turks avant le dictat de la nouvelle vague du renaming qui verra bientôt black midi changer de nom faute d'être originaires du sud de la France) détenu par la maison de disques Beggars Group (4AD, Rough Trade Records, Matador Records et XL Recordings), John Glacier a écrit, interprété et produit tous les titres de Duppy Gun et Like A Ribbon , avec l'assistance du producteur Kwes Darko (présent sur tous les albums de Slowthaï), faisant de ce diptyque l'œuvre la plus personnelle à ce jour de l'artiste.

A ce stade de la chronique je pourrais enfin vous donner mon avis sur Duppy Gun. Mais cela n'a guère d'importance et si vous y tenez absolument, j'ai mis une note en haut de l'article qui vaut pour l'ensemble des deux EPs, que j'ai ensuite rehaussée d'un demi-point pour souligner l'importance et la pertinence de cette jeune artiste chroniquée pour la première fois dans nos colonnes. Plus qu'un professeur qui distribue les bons points et les coups de règles, le critique musical doit avant tout être un passeur pour reprendre la fameuse expression de JD Beauvallet des Inrocks, ce magazine qu'on aimait tant jusqu'à ce qu'un vulgaire banquier d'affaires n'en prenne les rênes pour aussitôt licencier Christian Fevret, son fondateur historique, parti avec l'âme du journal. L'information à retenir est donc qu'en ce moment, à Londres, une musicienne du nom de John Glacier, auteure, compositrice, interprète et productrice s'évertue à innover et à emmener le rap UK sur des terrains inexplorés en mélangeant subtilement hip-hop, électro et pop. C'est frais, mélancolique, excitant et en perpétuelle évolution. Si John refuse de citer ses références, on conseille à ceux qui aiment les sonorités hors cadre de Tirzah, Eartheater, Vegyn, bar italia ou Voice Actor de se ruer vers la Fnac la plus proche pour acheter son disque.

Sur Like A Ribbon , face A accueillante, on recommande en priorité son duo avec Eartheater, Money Shows, meilleur des dix titres et porte d'entrée idéale pour les auditeurs-rockeurs de Sound of Violence avec sa guitare à la Pixies. Enchaînez avec Emotions qu'on pourrait résumer comme du M.I.A vaporeux et Nevasure où la production électro et planante de Flume fait merveille pour immédiatement rejoindre le fan club officiel de John Glacier. Un sursaut d'objectivité m'oblige tout de même à pointer que Tripsteady, seul titre ici produit par Vegyn, s'avère un peu décevant.

Supporters de l'Equipe de France de football ou de gouvernements qui ne sont pas d'extrême-droite, vous avez le moral dans les chaussettes ? C'est le moment de retourner la galette pour écouter Duppy Gun, face B aussi déprimée que vous mais presque aussi belle. Si vous pleurez, dites que c'est parce-que vous avez épluché Steady As I Am comme un oignon. Une couche de voix engourdie qui donne le rythme du morceau, une couche de guitare chevrotante à la Mica Levi apportant ce ton étrange et angoissé, plusieurs couches de beats syncopés superposés et au cœur une production millimétrée font de ce titre anodin à la première écoute, un véritable travail d'orfèvre. Cows Come Home fait écho à Emotions avec son flow incisif qui rappelle encore ici M.I.A., mais là où Emotions invitait à danser sur une plage les cheveux au vent, Cows Come Home vous convie dans un club lugubre et oppressant sorti de l'imaginaire glauque de Gaspar Noé. Ne craignez pas pour autant le mal de tête car Poster, produit par Tony Seltzer, le producteur de Brooklyn connu pour son travail auprès de MIKE et Wiki, vient apporter une touche de légèreté bienvenue à ce deuxième volet.

Il vous aura fallu plus de temps pour lire cet article que pour écouter les douze minutes et quatre secondes de Duppy Gun, mais on vous aura offert deux chroniques pour le prix d'une et présenté votre nouvelle rappeuse préférée et ça, ça n'a pas de prix.

PS : Micheline, repose ce bulletin de vote tout de suite ! Non mais !
tracklisting
    Duppy Gun
  • 01. Steady As I Am
  • 02. Grands!
  • 03. Cows Come Home
  • 04. Whole or None
  • 05. Poster
  • Like A Ribbon
  • 01. Satellites
  • 02. Tripsteady
  • 03. Money Shows (feat. Eartheater)
  • 04. Emotions
  • 05. Nevasure
titres conseillés
    Steady As I Am - Cows Come Home - Money Shows - Emotions
notes des lecteurs