Rachel Sermanni

La beauté est en musique une notion bien subjective. Sauf, évidemment, lorsqu'on parle de Rachel Sermanni. Une musicienne produisant une musique si pure, si délicate, si touchante et fantastique, que d'en parler de manière autre qu'en utilisant des qualificatifs tels que « somptueuse », « sublime », « transcendante » ou « féérique » reviendrait à n'être équipé à la place des oreilles que de trous bouchés par du joint de carrelage, trous qui plus est situés sous les pieds, rendant l'utilisation de tout appareil d'écoute hi-fi incroyablement plus complexe. Un « et si ? » auquel nous n'aurons hélas jamais la réponse, Dieu ayant inventé le casque audio avant les oreilles, contraignant considérablement l'implantation et la forme de nos petits pavillons auditifs. Mais il est un autre « et si ? » auquel on pourra répondre ce jour, un « et si ? » qui n'occupait sans doute pas autant de place dans votre esprit que celui de savoir ce que ça ferait d'avoir les oreilles sous les pieds, et un « et si ? » que l'on énoncera comme suit : ça donnerait quoi le dernier album de Rachel Sermanni uniquement en guitare-voix ?

Dreamer Awake Sketches, version dépouillée et raccourcie de l'album Dreamer Awake sorti l'année dernière, est une sublime, somptueuse, transcendante, et féérique réponse à une question que vous ne vous étiez jamais posée. Un écrin laissant derrière lui tous les instruments ou presque du très bel album de 2023, pour donner à entendre la plus belle version possible de Rachel Sermanni : seule avec sa guitare. Plus de batterie pour tirer la voix par la manche et lui faire suivre une marche forcée, le rythme s'oublie, le temps s'étire, la brume remonte avec langueur des berges de la rivière en contrebas. Le folk étincelant de Rachel Sermanni convoque avec splendeur les esprits des forêts et des landes de la belle mais rude Ecosse, et ce folk ne se sent jamais mieux que lorsqu'il revient à ses racines. Des racines de chardons ayant fait craquer les roches le plus dures jusqu'à les appeler foyer, bravant la tempête, soutenant les pluies, traversant les saisons et les ans sans jamais rompre ni se renier, que la roche soit de pierre ou de briques ou de béton armé.

Une voix envoûtante, des arpèges de guitare passant entre les doigts comme autant de boucles blondes tombée en spirale d'une princière chevelure : rendons grâce à la Grace Of Autumn Gold, avant d'avoir une petite conversation avec Jacob, et de finalement trouver notre place In Her Place. Une dernière chanson symbolique de l'écart subtil et pourtant abyssal existant entre la version sketch et l'album original : la guitare est remise au premier plan, vivante, vibrante, éclatante, faite de notes jouées à l'imperfection renvoyant dans les microphones le bois des touches, le métal des cordes, et la corne des ongles, comme si femme et guitare n'étaient désormais plus qu'une unique entité musicale baignée des chatoyantes lueurs de l'aube.

En conclusion, on ne dira pas ici que Rachel Sermanni est toujours une aussi fabuleuse compositrice de folk écossais, aussi terre-à-terre que féérique, aussi lunaire que solaire, car j'ose espérer que vous le saviez déjà. On vous invitera seulement à aller écouter encore et encore une artiste trop souvent oubliée de la grande tradition des songwriters du folk écossais, une tradition millénaire provenant d'un peuple fier et résilient, à la peau dure mais au cœur tendre, aussi tendre que ce Dreamer Awake Sketches servi sans glaçons, révélant délicatement à qui sait le boire ses notes boisées, ses touches d'épices enfumées, ses arômes de café torréfié, et sa patine de chênes tout aussi millénaires que la grande musique qu'ils inspirent.