Chronique Single/EP
Date de sortie : 30.08.2024
Label :Transgressive Records
Rédigé par
Adonis Didier, le 30 août 2024
Paris, 2016. Les éboueurs et les cheminots sont encore en grève, aller en concert et lire le journal est un acte anti-terroriste, personne ne connaît Emmanuel Macron, et Yannis Philippakis entre dans un studio à Pantin. L'air du matin sent la clope et le café, il y a probablement de la moquette léopard sur les murs, une lampe à lave sur la console de mixage, et devant leurs instruments respectifs siègent Tony Allen, Vincent Taeger, Vincent Taurelle, et Ludovic Bruni. Le chanteur-guitariste de Foals face à la légende de l'afrobeat Tony Allen et son crew, la six-cordes face à la peau du tambour, les lampes des amplis s'allument et la ville s'embrase au son de cinq hommes marchant dans un feu improvisé, allumette après allumette, riff après riff, le temps des quelques sessions qui parviendront à s'organiser dans des agendas bien fournis.
Alors ça se voit et ça retourne bosser, chacun de son côté, Yannis sur les deux parties de Everything Not Saved Will Be Lost de Foals, Tony sur des collabarotions dans tous les sens (The Good The Bad and The Queen, Gorillaz, Hugh Masekela, Dave Okumu) plus un album perso, tout cela jusqu'au jour fatidique. Le 30 avril 2020, en plein confinement et crise du COVID-19, Tony Allen s'éteint à Paris à l'âge de soixante-dix-neuf ans, laissant derrière lui une discographie longue comme la ligne 13, un nombre incalculable d'enfants de l'afrobeat, de batteurs inspirés par son jeu inimitable, et un certain Yannis Philippakis. Le temps de la pandémie, Foals auront eu le temps de sortir le très voire trop pop Life Is Yours, enchaîné avec une tournée mondiale, mais voilà, les enregistrements sont toujours là, les ombres planent, et un fantôme semble toujours hanter les studios d'enregistrement enfumés de la Petite Ceinture. De sa grosse et grave voix enrouée, Tony Allen tance probablement d'en haut ses anciens compagnons de studio : « bon, vous allez les sortir ces chansons, oui ou merde !? ».
Le genre de message divin qu'on ne se permet pas d'ignorer, alors Yannis et les Vincent, comme Jeanne d'Arc en son temps, comprennent qu'il y a une mission, et qu'il est temps de rallumer le feu. Retour au mixage, on rafistole un truc ou deux, et nous voici donc là, huit ans après le début de cette inattendue collaboration entre le chanteur-guitariste greco-sud-africain d'un groupe de rock d'Oxford et le pape adjoint de l'afrobeat. Lagos Paris London, c'est le titre, réunissant à Paris les racines nigérianes de Tony Allen et l'âme londonienne de Yannis Philippakis, dans un EP de cinq chansons représentant bien plus qu'un simple hommage posthume à l'un des plus grands batteurs de l'histoire de la musique moderne, car Lagos Paris London, c'est d'abord et avant tout la preuve qu'aucune musique, qu'aucun style, qu'aucune culture n'est incompatible avec une autre.
Ainsi, Walk Through Fire voit Yannis s'immiscer dans le monde de Tony, ajouter à ses patterns percussifs sa voix puissante, son sens du riff swahili et de la mélodie britannique. Rain Can't Reach Us fait l'inverse, reprenant une boucle électronique et une lente montée typique des compos de Foals, laissant Tony dynamiser les fondations, imbriquer son mortier à crinière fauve entre les briques déjà présentes. Night Green, Heavy Love sert de pièce médiane représentant toute la dimension jam improvisée de l'EP, Under The Strikes fait tonner les cuivres au son des pas de la CGT dans la rue, et Clementine finit de nous rappeler que Yannis Philippakis est un spectaculaire compositeur de chansons pop quand il le veut bien.
Mais alors, comment appeler ça finalement ? Du Foals afrobeat ? Du Tony Allen indie rock ? Non, du Yannis & The Yaw feat. Tony Allen, puisque c'est sous ce nom que sortira cet EP, officialisant Yannis & The Yaw comme une véritable entité à même de lancer de futurs projets collaboratifs de tous bords, et mettant en featuring le nom de l'homme qui aura contribué à lancer la machine, et qui la regardera grandir depuis les nuages, un sourire taquin et un regard féroce sur le visage. Lagos Paris London, un EP improvisé dont la structure flottante est à la fois sa plus grande force et sa légère faiblesse, qui nous aura en tout cas prouvé que tenter des choses avec les bonnes intentions et suffisamment de talent, quelque soit les styles et les cultures que vous y mettez, est le meilleur moyen d'arriver à une belle et grande œuvre artistique.