Chronique Single/EP
Date de sortie : 28.03.2025
Label :The Orchestra (For Now)
Rédigé par
Adonis Didier, le 26 mars 2025
Il y a des jours comme ça qui changent la vie. Des décisions sur le moment anodines qui, sans que l'on s'en rende compte, finissent par définir pour des mois et des années une carrière, une personnalité, une humanité. Et si j'étais rentré me coucher, ce soir-là, après trois jours à courir partout dans Rotterdam sans dormir ou presque, plutôt que d'aller voir un dernier concert à minuit dans une église d'un groupe sans aucun single et à la description hasardeuse ? Serais-je devenu cet énorme forceur dont l'unique sujet de conversation depuis maintenant cinq mois tient en quatre chansons, sept membres, et quatre mots, à savoir The Orchestra (For Now) ?
L'orchestre, car à tous les voir sur scène, c'est bien de ça qu'il s'agit, et un (pour le moment) outro-ductif soulignant le suspense constant qui compose l'ADN du groupe, The Orchestra (For Now) est le plus jeune groupe à sortir de la scène du Windmill de Brixton, et probablement déjà le meilleur (je vous ai dit que j'étais un forceur). Plus efficace que black midi et Geordie Greep, plus musclé que Black Country, New Road, plus épique que Squid, et plus en état que la Fat White Family, l'orchestre joue déjà sur un autre plan de l'univers, un truc en soixante-quinze dimensions bijectant entre Interstellar et Man/Woman/Chainsaw, le Plan 75.
Quatre chansons qui tournent en live depuis un an et demi, dont les noms ont changé au moins trois fois, et aujourd'hui interprétées par un line-up à peu près stable composé de Joseph Scarisbrick au chant et au clavier, Lingling Bao-Smith au violon, Charlie Hancock à la batterie, Erin Snape au violoncelle, Isobel Nisbett à la basse, et Neil Thomson ainsi que Bill Bickerstaff aux guitares. Les guides encapuchonnés d'une odyssée poussant jusqu'aux confins de la fantaisie et de la musique, à bord d‘un voilier traversant le vide stellaire dans le feu d'une comète, poussé par un vent qui n'existe pas. Un voyage qui s'échappe de la réalité en même temps qu'il s'échappe de New York, Escape From New York propose une douce mais inquiétante introduction de cordes tirant jusqu'à l'allumage des propulseurs à antimatière, déjà la chanson va-et-vient, se perd et retourne sur ses pas, avant d'exploser dans une gerbe d'étincelles de néant, bienvenue dans le Plan 75.
L'équipage espère que vous avez bien attaché vos ceintures, Skins et The Strip secouent l'appareil dans tous les sens, la batterie a perdu la tête et la voix off crie qu'elle veut descendre. Maman y a-t-il un pilote dans l'avion ? Oui mon chéri, il y en a sept qui tirent chacun dans une direction, mais comme l'avion lui-même est en soixante-quinze dimensions, ça va, on s'y retrouve. A la manière d'un pirate venu des Caraïbes, le groupe marche droit sans marcher droit, ne fait qu'un avec sa propre houle, chaque transition emmène à une autre dimension qui elle aussi faisait en fait partie du plan, ce plan qui balance en équilibre parfaitement précaire entre punk et symphonie, poésie maudite et opéra Wagnérien, arrivant toujours à destination sans jamais savoir où il va.
Une destination finale nommée Wake Robin, gigantesque pièce orchestrale de huit minutes et vingt secondes faite de lamentations torturées, de peurs inavouées, de larmes pleurées comme un torrent devenues dans l'océan-mer un tsunami balayant les digues du post-punk et du shoegaze, pour annoncer qu'un nouveau style est maintenant là pour les remplacer tous. Un style symphonique, progressif, rajoutant des cordes au rock et au punk comme le ska leur avait rajouté des cuivres, augmentant sans cesse le nombre des possibles, des nuances, des puissances d'un genre que rien ne semble aujourd'hui vouloir arrêter.
The Orchestra (For Now), une symphonie des ruelles, les Aristochats au Windmill de Brixton, une musique balayant les strates de la création des égouts jusqu'au paradis en passant par les chambres de bonne, et un premier EP dont on espère que ses soixante-quinze dimensions ne sont qu'annonciatrices d'un multivers musical à l'expansion infinie, au génie sans limite. Et comme on dit chez moi, que la force soit avec vous.