Wu-Lu

Miles Romans-Hopcraft, aka Wu-Lu, chanteur-rappeur, producteur, multi-instrumentiste, issu de Touching Bass, collectif d’artistes du sud de Londres, revisite avec brio depuis quelques années tous les styles musicaux et sort enfin son premier album, LOGGERHEAD, fruit de ses multiples expérimentations.

Si le mélange des genres accouche parfois d’une « pop urbaine » où toutes les saveurs finissent par s’annihiler, chez Wu-Lu celles-ci demeurent bien franches et marquées. Son rap sent la rue, son rock les caves moites et ses expérimentations sonores les jam-sessions enfumées. Artiste authentique et inclassable, Wu-Lu a naturellement rejoint Warp Records, label aussi exigeant qu’excitant, qui accompagne sans relâche depuis 1989 les défricheurs de sons les plus novateurs, de Boards Of Canada à Danny Brown, de Nightmares On Wax à Oneohtrix Point Never. En digne représentant de cette école, LOGGERHEAD célèbre tout au long de ses douze titres les noces païennes du hip-hop lo-fi, du bruitisme post-punk, de l’électro percutante et de la soul abrasive.

Take Stage ouvre l’album tout en douceur à base de rythmes downtempo, de boucles hypnotiques, de spoken word et de chant lancinant. Son groove aussi maladif qu’addictif à la massive patraque fait mouche. Le ton monte très vite avec Night Pill où cohabitent hip-hop cradingue et guitares entre dissonance et distorsion, un pied chez Tricky, l’autre chez Squid. Les beats syncopés de Facts, sous haute influence Aphex Twin, viennent revisiter l’âge d’or de Warp Records tout en insufflant une patte résolument moderne. Mais on entend déjà votre pote connaisseur, vous ordonner du fonds du sofa : « mets la 5, mets la 5 ! ». On ne saurait lui donner tort, tant South, tube dévastateur, s’avère être le point d’orgue de l’album. Armé d’une ligne de basse imparable, de couplets sombres et oppressants et d’un refrain sonique, South est prêt à retourner cet été toutes les fosses des festivals dans de dantesques pogos. Politique, dirty et groovy, on tient là une des plus belles réussites de fusion punk-rap entendue depuis longtemps. Calo Paste, sur laquelle la jeune Léa Sen (vue en première partie de Nilüfer Yanya) vient poser sa sublime voix blanche à la Tirzah, arrive à point nommé pour faire redescendre le palpitant.

Après cette face A détonante, tournons la galette pour voir ce que nous réserve la face B. On vous conseille d’ailleurs de vite courir chez votre disquaire de quartier ou chez Balades Sonores, la Mecque des mélomanes curieux, vous procurer ce beau vinyle, en édition noire pour les puristes ou en édition limitée verte pour les collectionneurs et les geeks. Slightly, tout en groove nonchalant, cache sous son aspect lo-fi bricolé une composition bien plus complexe qu’elle n’y parait et prépare nos oreilles pour les percussions indus du furieux Blame, la noirceur minimaliste et brute de Ten et les délires psychédéliques de Road Trip. Avec son long larsen d’ouverture, son clip de skate et ses guitares grunge, Times fait écho avec trente ans d’écart à 100%, l’hymne slacker de Sonic Youth et donne sévèrement envie de claquer son ollie. Broken Homes, aux paroles amères et à la rage contenue, vient clôturer le disque sans cesser de montrer les crocs.

LOGGERHEAD, album tantôt brouillon, tantôt génial, toujours organique, souvent orgasmique, un coup neurasthénique et l’autre épileptique, est loin d’être parfait. Mieux que ça, il semble être composé d’une matière en perpétuelle fusion, s’affranchissant de toute barrière, bouffant sans vergogne à tous les râteliers sans jamais perdre son cap. On conseille donc vivement aux amateurs d’Yves Tumor, black midi ou Dean Blunt, ces têtes chercheuses de la musique moderne, de plonger tête baissée dans l’univers passionnant et foisonnant de Wu-Lu.