Goat Girl

Les plus anciens d'entre vous doivent certainement se rappeler ces maudites années 90 où le Girl power était largement survendu et décliné en produit de consommation au travers des tribulations de cinq jeunes anglaises savamment recrutées pour plaire au plus grand nombre et vendre des posters destinés à orner les chambres des ados. Il va sans dire que tout est loin d'être idéal de nos jours, mais ceux qui s'intéressent un tant soit peu à l'évolution du rock UK admettrons qu'il existe désormais un féminisme engagé assumé et sérieux, et surtout plus visible représenté par quelques groupes, dont Goat Girl font partie. Justement le désormais trio depuis le départ de la guitariste Ellie Rose Davies revient avec un très réussi Below The Waste. Goat Girl est ce genre de formation dont on attend pas vraiment de sortie de route tant les bases posées avec les deux premiers albums sont fortes et ont mis en avant l'exigence et la qualité des compositions des musiciennes.

Reste à savoir comment le groupe va désormais orienter sa démarche et à quel point être amputé d'un de ses membres va influencer son évolution. La première remarque tient aux nombres de pistes. Voici une demie surprise puisque les anglaises sont coutumières du fait. Seize morceaux composent Below The Waste, mais à y regarder de plus près, plusieurs d'entre eux sont des interludes, ou des accroches en introduction du titre suivant. Ainsi, l'écoute de ce nouvel album peut largement s'appréhender comme un ensemble compact où l'idée de compiler différentes humeurs est totalement mis de côté.
Effectivement, malgré des ambiances différentes, et des approches diverses entre touches électroniques et pérégrinations plus acoustiques, Goat Girl livrent ici un album absolument cohérent, dense mais, dans une certaine mesure, plus difficile d'accès que son prédécesseur. Chercher un morceau pop accrocheur comme Badibaba ou The Crack risque de vite devenir une véritable gageure. Pourtant, refuser de s'adonner à une pop légère et facile ne veut pas dire que Below The Waste est dénué d'armes pour vous toucher.

Ainsi, en dépit de sa structure complexe, un titre comme Where's UR est une véritable bonne surprise, tout comme ce Ride Around, au premier abord rêche mais qui sait dévoiler une mélodie des plus intéressantes au fur et à mesure. La remarque est similaire avec le très bon Play It Down qui prouve que la pop n'est pas nécessairement la discipline de la facilité. Celle-ci peut-être ardue, demander à se laisser apprivoiser pour mieux se dévoiler et vous toucher. À ce petit jeu, Below The Waste confirme une aptitude que nous avait déjà montrée Goat Girl depuis leur création en 2018.


Surtout, ces filles refusent de se laisser enfermer dans un style, et usent de tout ce qui leur tombe sous la main. Le passionnant Wasting est à cet égard une démonstration idoine. À la fois puissant et imprévisible, il met en avant une intelligence folle dans sa structure et sa construction. Sleep Talk dégage lui aussi la même subtilité, la même densité. Goat Girl apportent parfois des petites touches électros où synthétiques du meilleur effet à leurs compositions, à l'instar des très bons Motorway ou Words Fell Out, remarquable par sa construction et sa densité qui va crescendo. C'est subtilement travaillé, et tout fait décidément sens dans les entreprises du groupe.
Pourtant, difficile de ne pas avoir l'impression de se retrouver en face d'une équation bien complexe à résoudre, comme sur TCNC, ou ce Jump Sludge. Ici on se demande où veut nous amener le trio, comme si le groupe s'amusait à nous perdre, à laisser son auditeur sans repère. Au final tout tombe juste, comme un labyrinthe qui finit enfin par se découvrir et laisser des signes pour retrouver son chemin.

Goat Girl est une formation réellement passionnante, où rien n'est fait au hasard, où tout est pensé, réfléchi, sans pour autant perdre une certaine naïveté ou s'enfermer dans une matière qui serait cérébrale au point d'en devenir ennuyeuse. Rien de tout ça dans Below The Waste, pourtant, l'exigence du travail de cet album demandera peut-être un effort plus conséquent de votre part car la musique des filles n'a peut-être jamais été aussi peu évidente en dépit d'un sens de la mélodie remarquable. Elle est cependant définitivement séduisante et cet album servira peut-être de pivot, de marqueur fort, sans pour autant être un accès des plus simples. Goat Girl prouve une nouvelle fois qu'il est ce groupe formidable que vous en devez absolument pas manquer.