Sorry

Dans un de ses derniers ouvrages, Mariel Mazzocco, philosophe de son état, nous invite à faire l’éloge de la simplicité. Il est question par ce biais de retrouver un chemin intérieur, vers la spiritualité, ou tout ce qui permettrait d’être plus heureux. Soit. Cet éloge semble n’avoir que peu de prise sur la musique de Sorry, tant le groupe du nord de Londres semble se délecter de compositions alambiquées, s’amusant à défier l’évidence. Pas vraiment trip-hop, pas totalement rock indie, difficile de cerner ces jeunes gens qui refusent de se laisser enfermer dans une petite boite.

Anywhere But Here, second album après la sortie deux ans plus tôt de 925, ne va pas changer les fondamentaux de ce groupe singulier dans le paysage musical actuel. La musique de Sorry est exigeante, .et pas tout le temps facile d’accès. Elle est en tous les cas souvent surprenante Si vous n’êtes pas totalement convaincus, dites-vous que le groupe a eu la bonne idée de se faire aider par Adrian Utley. La présence du musicien de Portishead devrait au moins susciter votre curiosité, et vous pousser à mettre le nez dans un univers complexe, où même des ballades à première vue simples et épurées comme Willow Tree ou Hem Of The Fray ont au final énormément à dévoiler.
Sur le magnifique Tell Me, l’apparente ingénuité du début vole en éclat devant un fourmillement d’idées. Si l’ensemble peut paraître parfois fouillis, il se concentre ici trop de belles choses pour ne pas s’intéresser à ces petites pièces à la fois fragiles et complexes.

Malgré tout, parfois, il est compliqué de ne pas perdre le fil, comme sur Step, et souvent, il est nécessaire de revenir plusieurs fois pour réussir à apprivoiser les structures parfois protéiformes qui nous sont ici présentées, comme sur Miss The Fool ou sur l’excellent Screaming In The Rain, où derrière le microphone, Louis O’Bryen ne manquera pas de vous évoquer les intonations de Jay Jay Johansson.
Il y a quelque chose de très fort sur ce morceau où l’ennui semblé érigé au rang de divin, et où la présence aux manettes d’Adrian Utley fait alors totalement sens. De temps à autres, Sorry semblent vouloir naviguer sur des eaux plus calmes et moins troubles, à l’image de Quit While You’re Ahead, petite ballade aux senteurs rurales. Malgré tout, la mélancolie n’est jamais loin, et reste un fil conducteur de cet album absorbant si vous vous donnez la peine de lui laisser sa chance, comme sur le touchant Closer, au profil peut-être un peu plus conventionnel et évident. Pourtant, même lorsque le groupe s’aventure sur des structures plus pop à l’image de Let The Lights On, tout tombe juste, dans une maîtrise parfaite, et jamais Sorry ne se laissent aller à la facilité.

Sur le brillant Key Of The City, on trouve peut-être le paroxysme de ce que Sorry peuvent faire en réussissant l’amalgame antinomique d’une ambiance à la fois riche et dépouillée. Ce morceau d’une intelligence folle mérite toute votre attention. Son thème simple revient comme une voilure dans le vent et s’enrichit au fur et à mesure pour monter en tension. Notons également le travail absolument remarquable d'Asha Lorenz au chant et vous avez là une des plus belles pièces de l’album.
Mélancolie, mais aussi culture de l’étrange irradient Anywhere But Here de part en part, comme sur le final Again. Ainsi, encore une fois, la simplicité n’est qu’une couche superficielle qui cache un travail et une richesse incroyable.

Pour appréhender tout ce qui se trame ici, il faut de la patience et accepter de sortir des sentiers battus, ne pas suffoquer sous la monotonie, savoir se laisser guider sur des terres qui ne sont de premier abord parfois pas si évidentes et comprendre que Sorry ne feront décidément pas les choses comme les autres.