Pulp

Avec Pulp, je touche à un groupe culte ! Chacun se rappelle de sa première fois, comme dit la chanson, mais je ne prends aucun risque en disant d'entrée de jeu que More est leur meilleur album en 20 ans. C'est également leur seul, mais comme le groupe n'a jamais été complaisant avec lui-même, ce disque est aussi tout simplement excellent.

Maintenant que j'ai levé le suspens, un peu d'histoire. Ma première fois avec Pulp, c'était autour d'un plat de spaghettis. Etudiant en première année, je découvrais le monde et grâce à la persévérance de mon ami Gilles, je m'intéressais à autre chose qu'au punk et à la cold wave. Le groupe de Sheffield vient de sortir Separations, encore des histoires d'amour qui finissent mal. Leur pop est cabossée, c'est un peu rétro, le ton est théâtral, les mélodies peuvent prendre cinq ou six minutes pour se développer : ça me plait. Le groupe a déjà seize ans d'existence, mais seulement trois albums, et ils vont enfin signer sur une major pour enregistrer His 'N' Hers, leur premier disque majeur avec des tubes qui prennent aux tripes. Ils ont perfectionné leur style et la production sublime leurs compositions. L'année suivante ils remettent ça avec Different Class, encore un cran au-dessus. Cette fois, tous les titres sont des tubes en puissance et le disque se vend à plus de deux millions d'exemplaires.

On pourrait croire le groupe au sommet de son talent, mais ces musiciens ont tellement galéré pour en arriver là depuis Sheffield et ils ont développé tellement de stratégies et de plans B pour percer qu'ils continuent leur ascension et sortent This Is Hardcore trois ans plus tard. Le temps de tourner à n'en plus finir et de développer un style plus flamboyant, mais le passage au XXIème siècle ne réussit pas au groupe qui a tout et trop donné. En 2001, ils sortent un "dernier" album, tout aussi bien produit, mais pour la première fois, moins inspiré que le précédent. Une pause s'impose alors.


Le groupe revient dix ans plus tard pour une tournée qui a fait plaisir aux nostalgiques, mais Pulp ne sont que l'ombre d'eux-mêmes. Pour un groupe qui, à force de persévérance et de remises en question, a réussi à sortir de l'ombre, il aurait été dommage d'en rester là. En 2023, au sortir des différents confinements, ils offrent à leur public un long rappel. Ou deux trop courtes tournées selon le point de vue que l'on prend car c'est seulement une poignée de festivals triés sur le volet qui les accueillent.

Cette fois-ci, voici l'occasion de retrouver le groupe que l'on a adoré, et l'alchimie entre un leader, son groupe et son public. La force de Pulp est liée à celle de son leader, si les albums en solo de Jarvis Cocker avant la première reformation était assez anecdotiques, celui sorti sous le nom JARV IS en 2022 est à la hauteur de nos attentes et de son talent. Il intègre d'ailleurs ses musiciens au line-up de Pulp qui devient une troupe de neuf musiciens.

A force de jouer, les musiciens inspirés finissent par en vouloir plus : à gratouiller de nouveaux accords, à noter des morceaux de phrases, et ressortir des cartons des chansons qui supplient qu'on les achève. Jarvis Cocker, son groupe et son public en voulaient plus, et c'est arrivé. Comme pour un jeune artiste qui forge son équilibre et sa signature sonore sur scène, ces deux tournées permettent à chacun de trouver de la place pour les cordes, les claviers et les guitares alors que la batterie et la basse donne le swing si caractéristique du groupe qui permet à Jarvis Cocker de poser son phrasé.

Dès les premières écoutes, More sonne comme un de leurs classiques, c'est un autre avantage de n'avoir jamais suivi, ou fait, les modes, le son de Pulp a toujours été intemporel. Ce sont peut être aussi ces vieilles chansons retrouvées qui leur permettent de retrouver leur essence, comme si leur ADN avait été fossilisé dans un morceau d'ambre magique et réveillé aujourd'hui. Le groupe a eu la sagesse d'attendre le bon moment avant de s'enfermer pendant trois semaines avec un des meilleurs producteurs du moment : si Jarvis Cocker est tenté de renier ses premiers albums, ce n'est pas à cause des chansons, mais à cause de leur production trop cheap. A contrario, une des forces de More, c'est bien la production de James Ford (Fontaines D.C., Beth Gibbon, Fat Dog, Black Country, New Road...) qui pousse les neuf membres de Pulp au sommet de leur art. Less is more, il n'y a aucun temps mort sur cet album varié et cohérent. Le groupe avait vingt titres en réserve, il en a enregistré treize, et gardé onze.


Spike Island, le premier single, a pu rassurer les fans, il a toutes les qualités d'une chanson de Pulp, y compris l'authenticité. La version 45 tours a même une Face B inédite. Background Noise n'aurait pas dépareillé sur un des deux albums précédents, le morceau a également tout le potentiel pour un bon single, montrant bien que le groupe n'a rien perdu. Il a même gagné en expérience, les chansons sur l'amour et le couple, si elles ont toujours été présentes dans leur répertoire, sont ici celles d'un groupe et d'un parolier qui ont pris de l'expérience et de la sagesse. Profitez que Jarvis ait oublié sa note habituelle demandant de ne pas lire les paroles pour découvrir que la sagesse ne veut pas dire se ranger et s'endormir ! Grown Ups, Slow Jam, My Sex ou Got To Have Love font de More un véritable album qu'ils n'auraient pas pu écrire il y a vingt ans, c'est donc bien plus que le disque d'un groupe sur le retour. La pause si elle a été douloureuse pour les fans est en fait anecdotique.

Avec ses chansons et sa production brillante, More se fait une place de choix au côté d'une trilogie prodigieuse qu'il est impossible d'égaler dans le coeur des fans, ne serait-ce que parce qu'elle les accompagne depuis longtemps. Mais il y a encore un an, personne n'aurait rêvé d'écouter un jour un nouvel album de Pulp puis il y a eu ces nouveaux titres joués aux Etats-Unis et la signature chez Rough Trade Records dans la foulée. Si ce groupe a bien un message pour nous, c'est qu'il faut aimer et rêver.